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fausse alerte, bonne seulement à montrer que tout était prêt et que chacun était instruit de son devoir en cas d’accident. Le même soir, on eut un moment de crainte. Plusieurs spires du câble s’étaient embrouillées au fond du puits. Il fallut encore arrêter le navire, suspendre l’opération, mouiller par précaution une bouée sur le câble pendu à l’arrière et remettre les spires en ordre par une pluie abondante et un vent violent. La grande difficulté en pareille circonstance était de maintenir le bâtiment par l’action combinée des roues, de l’hélice et du gouvernail, bien juste au même point, malgré le vent et les courans qui tendaient à le faire dériver. L’habileté du capitaine et des ingénieurs triompha de ces difficultés ; en moins de deux heures, tout fut remis en bon ordre.

Le 19, la brise ayant fraîchi, le navire se mit à rouler considérablement, ce qui gênait beaucoup l’émission du câble ; aussi l’on tint à l’arrière deux grosses bouées prêtes à être accrochées en cas d’accident. Le Terrible était perdu dans le brouillard ; l’Albany et le Medway conservaient leur distance, mais en fatiguant beaucoup. On ralentit un peu la vitesse de marche afin de rendre l’opération moins périlleuse. Malgré ces alternatives de mauvais temps, le coulage, c’est-à-dire la longueur du câble dépensée en excès sur l’espace parcouru ne dépassait pas 15 ou 18 pour 100. En même temps que l’immersion avançait, la correspondance avec le poste de Valentia devenait plus facile et plus régulière. L’isolement du conducteur sous-marin s’améliorait, comme on le constate en toute opération analogue, à mesure qu’une plus grande longueur de fil se trouvait soumise à la température froide et à l’énorme pression des eaux profondes. Au départ, on ne passait dans le câble qu’un mot et demi par minute ; arrivés au milieu du parcours, les électriciens en pouvaient recevoir quatre ou cinq, et annonçaient que le travail utile du fil isolé augmenterait encore. Le 23, comme on n’était plus qu’à 7 ou 800 kilomètres de Terre-Neuve, l’un des principaux organisateurs de l’entreprise, M. Cyrus Field, qui était à bord, pria ses amis d’Angleterre de lui transmettre les nouvelles d’Europe les plus intéressantes, afin qu’elles fussent communiquées sans retard à toutes les principales villes des États-Unis aussitôt que l’on arriverait sur la côte d’Amérique. Cependant, à mesure que l’on approchait de Terre-Neuve, le temps devenait pluvieux et brumeux. Un brouillard épais interceptait toute communication visuelle entre les navires de l’escadre, qui ne correspondaient plus entre eux que par la sifflet à vapeur. On arrivait au-dessus des bas-fonds du banc de Terre-Neuve, et la profondeur de l’eau, qui avait dépassé 4 kilomètres les jours précédens, n’était plus le 26 juillet que de 5 à 600 mètres. Avant de partir d’Angleterre, il avait été convenu avec l’amirauté que l’amiral Hope, commandant la station de l’Amérique