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de la jeune femme, dans les cytises aux grappes jaunes, dans les aubépines roses et les chèvrefeuilles, un voluptueux bourdonnement d’abeilles ; les pétales blancs et vermeils des pommiers en fleur se détachaient à la moindre brise et tournoyaient dans l’air en répandant un suave parfum de renouveau. — Maman ! maman ! il pleut des fleurs, s’écria la petite Madeleine. — Avec un mouvement impétueux, Lucile prit sa fille dans ses bras et la couvrit de baisers, entremêlant ses caresses de tendres paroles. — Toi, disait-elle, tu es ma mignonne aimée ! tu es mon adoration !… Et les baisers pleuvaient plus nombreux que les fleurs des pommiers. Lucile en ce moment se sentait environnée d’une atmosphère de tendresse ; en elle et autour d’elle, tout était joie : les Palatries en fleur, sa fille si charmante, cette matinée de printemps si délicieuse, et Maurice, l’ami d’autrefois, Maurice qui allait revenir !

Pendant ce temps, M. Désenclos, assis sous un cytise, était plongé dans la contemplation de la plante ramassée aux pieds de sa femme. C’était une simple pâquerette, mais elle venait de lui ouvrir tout un monde d’observations et de découvertes. Armé d’une loupe et de petites pinces, il l’étudiait dans ses moindres détails organiques, et sa physionomie, sérieuse ou indifférente lorsqu’il s’agissait des accidens de la vie ordinaire, prenait pendant cette étude une expression d’animation joyeuse et d’inspiration enthousiaste. Les pensées qui s’agitaient en lui se traduisaient non-seulement par de petits gestes nerveux et rapides, mais par des interjections énergiquement accentuées, comme s’il se fût agi de répondre à quelque contradicteur invisible. Il avait enfourché son grand dada scientifique et chevauchait au grand galop dans le champ des hypothèses. — Il était à cette époque absorbé et passionné par une question physiologique d’un ordre élevé : la vie des plantes. Ses études d’entomologie lui avaient permis de constater avec certitude l’existence de l’intelligence chez les insectes. Il s’agissait maintenant de descendre encore quelques degrés de l’échelle et de prouver la vie, — la vie consciente, — des végétaux. Ce courant d’intelligence dont il avait pu retrouver la trace plus ou moins apparente à tous les degrés de la vie animale se tarissait-il brusquement ? La plante, dont l’organisation a tant d’analogie avec celle de l’animal, la plante était-elle une merveilleuse machine ou un être sensible et intelligent ? avait-elle une âme ? Tels étaient les difficiles problèmes qui préoccupaient M. Désenclos et qui avaient pris une grande place dans sa vie. De patientes et minutieuses expériences pratiquées sur des sensitives lui avaient déjà fait entrevoir des lueurs de certitude. Il ne tenait pas la vérité, mais il la pressentait. La vue de cette pâquerette, dont les fleurons épanouis au soleil s’étaient subitement