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Elle avait grandi et s’était épanouie, comme les fleurs qui peuplaient le jardin abandonné de son père, — à la bonne aventure. C’était une enfant expansive, généreuse, sensible, mais aussi une enfant terrible et gâtée, s’imaginant qu’il suffisait de tendre la main pour cueillir le fantastique objet de ses désirs, comme on cueille une mûre aux buissons du chemin. Elle était, en un mot, merveilleusement organisée pour s’exposer en plein danger, y jeter par dévouement sa réputation et son cœur et les en rapporter brisés.

Trois jours après, Simonne lui annonça que M. Jousserant était arrivé aux Ages. Sylvain Jacquet était venu dès l’aube répandre la nouvelle aux Palatries, et Simonne, tout occupée de son nouvel amoureux, ne tarissait pas sur le chapitre de Maurice et des gens du moulin. — Tu aimes donc Sylvain maintenant ? dit gaîment Lucile ; tu sais cependant que M. Désenclos veut te marier à Chantepie… Te voilà avec deux amoureux ! Prends garde, ma fille, Chantepie est jaloux ! — Pourtant, répondit Simonne, je ne puis épouser un vagabond comme Chantepie… Sylvain, lui, est un bon ouvrier et un beau garçon. Savez-vous ce qu’il m’a dit, madame ? Que M. Maurice revient au pays pour tout de bon, et qu’il est bien changé à son avantage. Il est bien plus vivant et plus parlant qu’au temps passé. Il fera valoir le moulin lui-même, et Sylvain prendra la place du père Jacquet, qui devient vieux…

Quand Simonne fut partie, Lucile se mit à la fenêtre et trouva que la vallée avait un air de fête. Les vieux toits des Ages paraissaient rajeunis au milieu de la verdure nouvelle des tilleuls. La rivière semblait chanter tout là-bas l’hymne du retour de Maurice, et lui, sans doute, était en ce moment derrière ces ramées, allant et venant le long de la Charente, reconnaissant chaque place et songeant peut-être au temps jadis. — Elle ne l’avait pas oublié, elle non plus, le temps passé. Quelquefois il lui semblait que ses dix-huit ans n’étaient pas finis, qu’elle avait dormi pendant des années, que le réveil était sonné, qu’elle allait s’élancer de nouveau dans la vie et retrouver sa jeunesse au point où elle l’avait laissée le jour du départ de Maurice. — Maurice !… ce nom résonnait singulièrement à ses oreilles. — Sans doute il allait venir faire sa visite aux Palatries, demain peut-être ou après-demain, et déjà elle songeait à l’accueil qu’elle lui ferait et à tout ce qu’ils auraient à se dire. Le lendemain et le surlendemain se passèrent, deux semaines s’écoulèrent, et Maurice Jousserant ne parut pas aux Palatries. C’était à n’y pas croire !… Avait-il donc fait une nouvelle absence ?

Non, Maurice était aux Ages ; mais il s’était promis de résister