Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/601

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

veau couvert, et une douce ondée mouilla les plantes. — Maudite pluie ! pensait-il… Il s’assit découragé sur la pierre. Tout à coup… non, ce n’était pas une illusion, c’était bien une ombrelle brune qui avait l’air de courir là-bas entre les saules !… Il distingua le chapeau de paille et la robe grise de Lucile. La jeune femme s’avançait d’un pas net et léger dans le petit sentier bordé de grandes sauges. Maurice courut au-devant d’elle. — Vous voyez, dit-elle en secouant quelques gouttelettes qui avaient roulé sur sa robe, je suis une vraie campagnarde, et une ondée ne m’effraie point.

Ils s’assirent à l’abri des roches, et restèrent un moment silencieux. Ils semblaient étonnés de se retrouver seuls dans cette retraite d’où l’on voyait entre les saules les prés mouillés scintiller au soleil. Partout où ils portaient leurs yeux, les moindres détails du paysage les replongeaient au sein des meilleurs souvenirs de leur jeunesse. Ils étaient venus autrefois à cette même place par une pluvieuse matinée de juin semblable à celle-ci. Maurice le rappela aussitôt à Lucile. Ils avaient fait une longue course à travers les prés, et quand ils étaient revenus s’asseoir près des roches, le cou et les bras nus de la jeune fille étaient tout semés de débris de fleurettes que le vent et l’ondée y avaient collés. Peu à peu les moindres accidens de leur première jeunesse défilèrent dans leur conversation comme les grains d’un poétique chapelet. Ils croyaient être encore au temps passé. L’illusion ne cessa que lorsque le nom de M. Désenclos vint par hasard sur les lèvres de la jeune femme. Rejeté brusquement dans la réalité, Maurice devint pensif. Le rayon qui avait illuminé un moment sa physionomie s’évanouit. — Êtes-vous heureuse aux Palatries ? demanda-t-il tout à coup.

Elle sourit. — Heureuse ?… je le crois, si le bonheur consiste à vivre dans le calme et le bien-être… Pourtant j’ai aussi mes heures d’ennui. — Elle lui parla alors de son intérieur. Elle était presque toujours seule à la maison ; son mari la gâtait comme une enfant et ne lui laissait rien à désirer, mais il était fou d’histoire naturelle, faisait huit lieues pour trouver une plante et ne rentrait qu’à la nuit.

— N’avez-vous pas une petite fille ? dit Maurice.

— Oui, Dieu soit loué ! — et la figure de Lucile s’épanouit, — c’est toute ma vie que cette enfant-là ! Elle est si mignonne et si caressante ! Vous ferez connaissance avec elle quand vous viendrez aux Palatries.

Maurice secoua la tête en la regardant tristement. Il allait essayer de lui faire entendre aussi délicatement que possible pourquoi il ne pouvait devenir l’hôte des Palatries ; mais elle ne lui en laissa pas le temps, et l’interrompant avec une vivacité mutine : — Voyez,