Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/667

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

excès moderne tout opposé : celui-ci n’a pas fait défaut. Le corps aujourd’hui est pleinement réhabilité dans l’histoire, et, non content de recouvrer ses droits, il les dépasse. Longtemps effacé par l’esprit, à son tour il l’offusque. Un axiome nouveau tend à s’accréditer : le visage, c’est l’homme. On va donc le demander à la toile, au papier, au marbre, à l’airain, à la cire ; ce précieux dépositaire des secrets ensevelis dans la mort, ce survivant érudit de l’âme envolée est le témoin capital dans les enquêtes que dirige un historien intelligent et expéditif. On l’examine à la loupe, on le mesure, ou le palpe, on le dissèque du regard ; sous cette fixité d’un instant, sous cette expression qui est la vérité, fardée peut-être, d’un jour ou d’une saison, on cherche à pénétrer l’être réel, ondoyant et divers. Quand le contemplateur abîmé dans ce spectacle y a saisi l’esprit vivant qui s’en dégage, quand il est arrivé à ce point de chaleur qui donne la véritable intelligence et qui fait de l’étude une sorte d’initiation, tout s’explique pour lui et s’illumine, la certitude lui arrive dans un flot de conjectures enthousiastes. Une seule médaille bien observée vaut une bibliothèque.

M. Michelet n’est pas le moins ingénieux de nos historiens physionomistes. Il est remarquable que cet écrivain, en qui la spiritualité est si vive, si raffinée, si tendre, et comme tourmentée d’un mysticisme maladif, soit peut-être celui qui a donné au corps la plus belle place dans l’histoire et qui a le plus largement mêlé dans une fusion hardie la vitalité énergique et l’exubérance des deux natures. Presque toujours dans ses descriptions le trait physique ou physiognomonique vient accentuer, illustrer, et souvent aussi opprimer et déborder le trait moral ; l’âme ne va jamais sans son vêtement, elle traîne sa chaîne, elle fléchit et se dérobe sous son fardeau. On ne voit plus alors que le masque, et cette fois encore on ne tient que des apparences ; l’élément opaque, s’interposant entre l’esprit observé et l’esprit qui observe, produit une éclipse ; le récit et la mémoire sont encombrés, et vides ; c’est la matérialité creuse, l’inanité sous une forme saillante, l’illusion réaliste. Les descriptions physiques dans M. Michelet sont très courtes. D’ordinaire ce n’est qu’un trait fort grossi, et la plupart du temps un trait comique. Sa plume a quelque chose du crayon de Cham. Philosophe, M. Michelet aime les hommes ; écrivain pittoresque, il les déchire et s’en moque. Sa pensée est sympathique, son burin cruel. C’est un satirique philanthrope. Cette âme mobile et passionnée où concordent tant d’extrêmes, cette nature si féconde en incarnations diverses de sa propre substance, tantôt ressent les belles ardeurs du fraternel amour qui embrasse l’humanité souffrante, elle est alors avec les faibles, les humbles, les doux et les