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par lui, ressemble à l’honnête femme parée des couleurs du demi-monde ; elle a toujours, plus ou moins, la figure de l’erreur.

À côté du volume sur la régence, celui-ci semble modéré. Les défauts y sont moins fougueux, les qualités moins téméraires. L’historien, comme la France elle-même vers 1730, se tempère et s’attiédit. Sous le gouvernement du cardinal qu’il déteste, il a malgré lui respiré la sagesse. Son imagination, perd l’habitude de tout oser. Il y a pourtant au milieu de ces menues descriptions et de ces sinuosités biographiques où le récit s’égare quelques traits qui se détachent avec relief sur le fond vague. Il y a de ces touches pénétrantes qui vont jusqu’au cœur de la réalité. La main du maître s’y reconnaît et s’y retrouve. Par exemple, M. Michelet nous donne un très vif sentiment de l’esprit général et de la vie publique de ce temps-là, vie étroite et de sombre isolement, enfermée dans un cercle immuable de passions et d’intérêts, étouffant sous une atmosphère que rien ne renouvelle, tournant dans une routine de discordes envenimées, condamnée à une perpétuité d’opinions fanatiques, et nourrissant dans les profondeurs séculaires et les in-pace de la rancune ces monstres de fureur aigrie, de jalousie concentrée, d’ambition pervertie, ces lions et ces tigres qui un beau jour, tout couverts de leur fange échauffée, ont bondi pour la vengeance. Il a aussi caractérisé, en termes d’une précision neuve et saisissante sous lesquels se sent l’âme de l’observateur non moins que son esprit, ce despotisme abâtardi du XVIIIe siècle, à la fois plat et écrasant, cruel et sot, ce mélange d’inquisition et de police, cette méticuleuse tyrannie, croisée d’esprit profane et d’esprit dévot, pleine de colères sans pardon, d’adoucissemens trompeurs, de retours inattendus, tyrannie brutale comme une bastille, hypocrite comme un couvent. C’est ce qu’il appelle « la terreur papale et royale, » sorte d’horreur sacrée, bien égayée, il est vrai, par les joyeusetés du temps, mais dont le fond noir reparaît toujours. À notre avis, ce sont là les belles pages du livre. Là surtout se marque la puissance propre de ce talent, qui ne se borne pas à dire les choses, mais qui les couve et les embrasse d’un chaud regard, qui trouve pour les exprimer des mots condensés et tranchans et qui en donne au lecteur la sensation immédiate et comme le frisson. Sortons maintenant de l’histoire des mœurs où l’auteur, cédant à un goût exclusif, s’est confiné. Abordons avec lui l’histoire des événemens et des personnages politiques qu’il a trop négligée. Comme lui, mais avec plus de droit que lui, nous y serons bref.