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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/679

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royal, l’autre la monarchie et l’ancienne société. Ce sont les deux vaincus de ce siècle triomphant qu’ils auraient dû gouverner.

En 1743, au moment où la mort du cardinal, mettant fin à une tutelle inamovible, permet au roi d’être le maître, il se produit dans le caractère de Louis XV une crise heureuse et pleine de promesses. La lutte s’engage entre sa générosité native et ce monde amollissant qui le circonvient, qui le gagne, sans l’envahir encore. Il sort du huis clos de sa minorité prolongée ; il écarte le nuage qui cachait aux regards des peuples la royauté nouvelle, il se montre avec les grâces de la jeunesse, avec le doux et joyeux éclat d’un avènement désiré. Tous les cœurs volent à lui ; ils attendent depuis si longtemps un pouvoir qu’ils puissent aimer. L’odieux qui s’attache aux tyrans de passage qui ont abusé de l’interrègne se tourne en faveur pour sa personne ; par une singulière fortune, l’héritier de Louis XIV cumule avec une autorité sans bornes la popularité qui le venge des ministres oppresseurs du peuple et du prince. « Nous avons donc un roi ! » Tel est, disent les mémoires du temps, le cri qui s’échappe de l’allégresse et de la confiance publiques. Louis XV semble le justifier. Il est assidu aux conseils, il étudie les hommes et les choses, il voit les abus, il veut les réformes ; il fait son royal métier, le travail a pour lui le piquant d’un plaisir inconnu. Il a des élans et des reparties dignes de sa race ; il regarde à la frontière, du côté de l’ennemi et du drapeau. « Laisserai-je ainsi manger mon pays ! » dit-il à ceux qui le retiennent. Quand le départ pour l’armée est fixé : « Quel temps superbe ! que je voudrais être plus vieux de quelques jours ! » On lui dit que sa maison n’est pas prête, qu’il faut l’attendre. « Je sais, répond-il, me passer d’équipages, et, s’il le faut, l’épaule de mouton des sous-lieutenans d’infanterie me suffira. » Cependant, même en ce premier feu, même en cette saison d’activité, de courage et d’espérance, où l’horizon étroit du règne s’élève et s’élargit, la faiblesse originelle reparaît et vient traverser cette impétuosité de bon augure. Déjà on voit agir sous la noble chaleur le dissolvant qui doit glacer et paralyser tout. Rien de ferme et de suivi ne soutient ces louables velléités ; ce sont les saillies d’un cœur bien né, mais la personnalité virile, maîtresse des autres et d’elle-même, ne s’affirme pas. Les plus graves résolutions sont ajournées par de subites défaillances, par des distractions faciles, par d’inexplicables oublis. Il est manifeste que Louis XV ne tient pas dans le sérieux, qu’il fuit la peine, et qu’il lui manque la vocation du grand. Il effleure le devoir et la gloire. Il dit comme Orosmane :

Je vais donner une heure aux soins de mon empire,