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contestables au contraire quand il touche à la biographie, ces notes, ces réflexions, ces échappées de vue ont ce grand désavantage de venir un peu tard et de lancer quelques gerbes fugitives, quelques lueurs inutiles dans les profondeurs d’un horizon depuis longtemps envahi par des clartés épanchées avec magnificence.

Il est facile maintenant de répondre à la question posée plus haut : ce volume est-il en état de satisfaire la curiosité sérieuse qui porte les esprits à l’étude militaire et diplomatique du XVIIIe siècle ? Manifestement, sur des points essentiels, il laisse en souffrance le désir public. Exprimons d’un mot notre pensée : il n’instruit pas assez des lecteurs qui veulent avant tout qu’on les instruise ; mais on va nous dire : Pourquoi juger l’œuvre de M. Michelet d’après un idéal historique qui n’est pas celui de l’auteur ? Pourquoi lui imposer des lois qu’il ne reconnaît pas ? C’est le fait d’une critique que sa rigueur même discrédite que d’appliquer à des productions si évidemment originales la ligne inflexible de l’histoire classique. M. Michelet n’ignore pas ce qui le distingue de la généralité des historiens, ni en quoi il s’écarte des conditions ordinaires de l’histoire. Qu’on n’exige pas de lui ce qu’il ne prétend pas donner.

Il est bien vrai : cette étude sur Louis XV est moins un récit historique (tel qu’en tout temps, en toute littérature, on s’en est formé l’idée) qu’un libre et varié commentaire, tour à tour élevé, passionné, moqueur et familier, qui admet tous les tons, tous les genres et tous les styles, qui passe de la gravité philosophique aux propos indiscrets des journaux privés et des mémoires ; c’est une causerie sur l’histoire du XVIIIe siècle, — causerie accidentée, pittoresque, pleine d’escarpemens et de précipices, où l’écrivain, d’une allure hardie et bondissant plutôt qu’il ne marche, se pose sur ce qui l’attire, supprime ce qu’il veut, s’étend ou se resserre à sa fantaisie, et comme dans un poème obéit à l’humeur et laisse souffler au hasard l’inspiration. Est-ce à dire que cette forme si particulière d’enseignement, qui suppose tant d’imagination, soit par cela même incapable de vérité ? N’est-elle que le roman de la science ? Non ; M. Michelet est pénétrant et vrai à sa manière. Il voit autrement que les autres, mais il n’en faut pas conclure qu’il voie toujours à côté : bien souvent ce qui est visible à tout le monde lui échappe, en revanche il lui arrive de voir mieux et plus loin que les plus habiles. Son regard a parfois de ces coups de lumière qui descendent où de plus réguliers n’atteignent pas. Ses livres ajoutent du nouveau, du piquant, de l’imprévu à la série des études substantielles dont l’histoire de France a été l’objet ; il apporte le superflu, laissant à de plus exacts le soin de fournir le nécessaire. Il est fait pour être lu surtout par deux sortes d’esprits : ou par ceux qui savent