Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/754

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un intérêt pratique plus actuel, si elle était incontestable. La circulaire annonce la fin de la coalition des puissances du nord et l’ère de la liberté des alliances. Il ne faudrait point exagérer la portée d’un tel résultat. Il y a plus longtemps qu’on ne le dit que la coalition du nord avait cessé d’être autre chose qu’une fantasmagorie. D’abord elle n’avait point gêné longtemps la liberté d’action de la France. Il y a aujourd’hui plus de cinquante ans que la triple alliance du nord s’était formée. Elle n’avait pas duré plus de quinze ans, — et l’on sait combien est courte une distance de quinze années dans le développement d’une situation politique, — que la France, en accomplissant la révolution de juillet, avait porté à la coalition le plus violent des défis, et lui avait arraché la preuve la plus éclatante de son impuissance. Cette terrible coalition demeura passive et inerte devant la France émancipée. La révolution se fît en Belgique et en Espagne. L’alliance du nord dut assister à tout cela avec une mauvaise humeur mal déguisée, mais dans une inaction complète. Cette coalition eut dès lors un contre-poids dans l’alliance de la France et de d’Angleterre : on pouvait la regarder sans inquiétude quand la France et l’Angleterre étaient d’accord. Peut-être à l’époque actuelle, si accidentée d’aventures diplomatiques, serait-il équitable de donner un souvenir à un homme d’état qui eut l’honneur de combattre dès le principe et de déjouer plus d’une fois l’alliance du nord avant et après 1830. Nous ignorons si l’heure de la justice n’a pas encore sonné pour M. de Talleyrand. Quant à ceux qui ont assez d’intelligence et de connaissances pour la devancer, ils ne sauraient oublier la clairvoyance, l’habileté, le bonheur avec lesquels ce négociateur consommé sut résister à la coalition du nord. Il l’avait détruite en 1814 même, à Vienne, en plein congrès, par le rapprochement et le traité secret qu’il avait eu l’art d’établir entre la France, l’Angleterre et l’Autriche, et sans les événemens de 1815 il n’y eût point eu d’alliance des trois puissances du nord et de l’est. Il se remit à l’œuvre avec une égale adresse après 1830 : il contre-balança la coalition, déjà bien vieillie, par la quadruple alliance unissant la France, l’Angleterre, la Belgique et l’Espagne. Depuis lors et tant que l’accord se maintint avec l’Angleterre, la coalition du nord ne put nous donner de soucis, et il fallait y mettre beaucoup de complaisance pour lui faire l’honneur de croire à sa durée. Qui l’a mieux éprouvée que notre présent gouvernement ? Où était la coalition du nord quand nous étions en Crimée ? Où était-elle quand nous entrions en Italie ? Qu’on nous donne aujourd’hui l’avis de ses funérailles, nous y consentons ; mais convenez qu’on l’enterre bien longtemps après sa mort.

L’avenir expliquera ce qu’il faut entendre par la liberté des alliances. Nous applaudirions au mot et à la chose, si la liberté des alliances signifiait que l’Europe en a fini avec les manigances de cours et de cabinets, si désormais les alliances ne devaient plus être fondées que sur la réciprocité d’intérêts et l’estime mutuelle des peuples civilisés devenus maîtres de leurs propres gouvernemens. Il n’est malheureusement point exact encore