Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/846

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Beaucoup ne se doutent guère que ce qu’ils voient est la répétition d’un mécanisme central qu’ils n’aperçoivent nullement. C’est le motor-clock réfléchi dans un autre lui-même.

Le parc de Greenwich, dans l’après-midi d’un beau jour, est aussi peuplé d’une foule de curieux dont les regards se dirigent en l’air vers une grosse boule noire placée sur la tour orientale de l’observatoire. Cinq minutes avant une heure, cette boule (time ball) monte lentement le long d’un mât, et à une heure précise elle retombe. Que se passe-t-il donc alors dans l’intérieur de l’édifice ? Le mouvement d’ascension est imprimé au globe par le moyen d’une chaîne et d’une roue qu’un garçon de service tourne dans un couloir du rez-de-chaussée. Ceci terminé, aucune main d’homme n’a plus à intervenir dans la suite des arrangemens ; le reste est l’affaire de l’horloge motrice. A une heure juste, un des ressorts galvaniques dont cette horloge est si richement pourvue se sépare en deux avec violence, comme s’il se rompait, et tout à coup on entend le bruit d’une masse s’affaissant sur le toit. Ce ne sont pas seulement les promeneurs du parc qui suivent avidement des yeux la chute de la boule ; les équipages de tous les vaisseaux qui ont jeté l’ancre dans la Tamise ou qui stationnent dans les docks ont un bien autre intérêt à saisir ces mouvemens télégraphiques. Les marins sont ainsi à même de comparer l’heure exacte de Greenwich avec celle de leurs chronomètres, qui, bien réglés, serviront plus tard à découvrir la longitude en mer. Si l’on considère que l’art de la navigation dépend en grande partie de la connaissance du temps, on appréciera d’autant mieux l’utilité de ces signaux (time signals). Aussi l’astronome royal a-t-il jugé à propos de les multiplier sur les côtes de l’Angleterre. A Deal, petite ville située au bord de la Manche, au milieu des sables et des dunes, s’élève une ancienne tour qui appartient maintenant à l’observatoire de Greenwich. Dans cette tour, qui a été réparée et entourée d’un enclos, vit un délégué qu’on appelle le gardien de la boule (ball attendant). Il n’a pourtant rien à faire avec la direction des signaux ; c’est toujours la charge de l’horloge motrice. De Greenwich part un courant électrique, et à une distance d’au moins soixante-dix milles ce courant fait descendre la boule de Deal au même moment où tombe celle de l’observatoire[1]. Il n’est peut-être pas d’endroit au monde où un tel signal puisse rendre plus de services, car la partie du détroit dominée par la tour est une sorte de grande route dans laquelle circulent et s’entre-croisent les navires. L’astronome royal

  1. Non-seulement la boule de Deal cède à cette impulsion lointaine, mais encore elle fait dire à Greenwich, par un autre courant en sens contraire, qu’elle a obéi.