Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/907

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

définitive. L’essentiel était donc de le persuader de la permanence de notre occupation, tout en évitant soigneusement de porter atteinte à ses usages. C’était heureusement une tâche moins difficile qu’on n’eût pu le supposer au premier abord, car nous n’avions à craindre de trouver, en tête des obstacles à surmonter, ni la question de nationalité, ni celle plus délicate de religion, et rien ici n’annonçait la résistance que l’Européen est à peu près certain de rencontrer chez les peuples soumis à l’islamisme par exemple. Cette profonde indifférence en matière religieuse est même l’un des traits les plus caractéristiques de l’Annamite. Il est cependant bouddhiste, au moins de nom ; mais son culte se compose d’un ensemble de pratiques si restreint et si peu gênant, sa doctrine est si vague et si mélangée de superstitions bizarres empruntées à la Chine, que lui-même serait probablement fort embarrassé de formuler sa croyance en un corps d’articles de foi. Toute sa ferveur se résume en une incroyable profusion de pagodes, répandues dans les villes comme dans les campagnes, et jusque dans les lieux les moins habités, les plus abandonnés même ; j’en ai vu sur des promontoires déserts de la côte et dans des îlots visités seulement de loin, en loin par quelques barques de pêche. De petits autels domestiquée, sur lesquels brûlent des bâtonnets odorans, sont élevés de même dans l’intérieur des cases et dans les jardins ; revêtus de nattes aux dessins voyans, ils sont toujours surmontés de tablettes d’ébène ou de bois de fer, où des sentences morales se lisent, en caractères chinois au-dessous d’un arbre de nacre incrustée. Voici, d’après M. de Grammont[1] la traduction littérale et le sens figuré d’une de ces tablettes.

Sens littéral.
« I. — Dans la saison favorable, ce bel arbre donne mille feuilles.
« II. — Au retour du printemps, la fleur mai n’est pas moins belle que la fleur deo.
« III. — Tout le monde doit désirer voir ce bel arbre.
« IV. — L’arbre ne sait pas parler ; cependant il se couvre de fleurs à la belle saison.
« V. — L’homme, avant le vin, parle avec sagesse. »
Sens figuré.
« I. — On célèbre la fécondité dans la famille.
« II. — On recommande aux parens un amour égal pour tous leurs enfans.
« III. — On fait l’éloge de l’arbre protecteur du foyer.

« IV. — On loue la discrétion et le silence.

« V. — On vante la tempérance et la sobriété. »
  1. Onze mois de sous-préfecture en Basse-Cochinchine, par M. Lucien de Grammont ; Napoléon-Vendée 1863.