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administrative, l’établissement d’un moyen commode de faire contribuer aux charges générales des gens qu’ils ne pouvaient pas saisir autrement. C’était le meilleur moyen de rattacher au sol les divers élémens d’une population essentiellement vagabonde dans le principe. En effet, la facilité de vivre dans un pays fertile, les routes naturelles et innombrables que présentent les rivières, l’humeur inconstante des habitans et parfois le désir d’échapper à des haines ou à des injustices, toutes ces raisons tendent à rendre les déplacemens beaucoup trop fréquens chez les Annamites. Un village en Cochinchine fond quelquefois avec la même rapidité qu’il a mise à se former. L’indigène craintif, trop pressuré ou trop battu, ne résiste pas : il fuit et disparaît. C’est un acte qu’il accomplit simplement, journellement et sans préparatifs. Une famille chasse ses buffles devant elle, emportant dans un char ou dans un bateau son mince mobilier, et, comme il y a partout de la terre à cultiver et du bois pour bâtir, elle n’est jamais embarrassée de son logement ni de sa nourriture. Le législateur a donc cherché à tempérer ces mœurs aventurières par des institutions capables de fixer l’indigène à son village, et ce dernier le comprend très bien lui-même, si l’on en juge par ce que répétaient les interprètes comme résumé de leurs explications sur ce sujet : Leges nituntur retinere eos, ut non fugiant. »

J’ai reproduit à dessein cette longue citation empruntée à l’un des officiers qui ont activement coopéré à nos débuts administratifs en Cochinchine, parce qu’elle fait bien ressortir comment nous avons compris, dès l’origine, que cette excellente organisation de la commune, profondément entrée de longue date dans les mœurs annamites, pouvait seule servir d’assiette à notre établissement. De cette façon, au prix d’une simple surveillance, l’administration centrale se trouvait gratuitement débarrassée de la police, de la justice de paix, de la levée des soldats, du règlement des corvées, de la tenue du cadastre, de la répartition et de la rentrée de l’impôt. La municipalité lui répondait de la bonne exécution de ces divers services, ainsi que des délits commis sur son territoire, et même de la présence sous les drapeaux des soldats fournis par elle ; de plus cette responsabilité n’était pas illusoire, car elle était garantie par les biens des propriétaires inscrits. Disons tout de suite que, dès nos premiers recensemens, ces derniers étaient au nombre de 35,000, ce qui, en admettant que cette classe privilégiée représente le vingt-cinquième de la population totale, donnait de 8 à 900,000 habitans pour l’ensemble de nos trois provinces. C’est peu, si l’on songe à ce qu’elles pourraient nourrir ; c’est beaucoup au contraire pour qui sait combien il est rare et précieux sous les tropiques de rencontrer de prime abord une colonie déjà peuplée d’une race industrieuse. Au-dessus de la commune, nous n’avions