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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/935

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en quelque sorte d’interrompre la prescription que lui avaient imposée si longtemps et sa propre faiblesse et l’influence de plus en plus prépondérante de la politique autrichienne. On n’en sentit que mieux dans toute l’Allemagne ce que pouvait la Prusse et ce qu’elle ne faisait point. L’accueil fait aux destitués de Goettingue n’avait été qu’un symptôme fugitif. Après cet éclair d’espérance, la situation étant devenue aussi sombre que par le passé, une sorte de désespoir s’empara des intelligences. Si la période de 1815 à 1830 avait vu se déployer la doctrine de Hegel avec ses ambitions démesurées et ses témérités prestigieuses, si l’école du puissant maître, comme une expédition conquérante, attirait les regards, occupait les âmes et les consolait de l’inaction, c’est quelques années avant 1840, c’est sous l’influence de ce long étouffement national que la jeune école hégélienne jeta son premier cri de révolte et fit du plus noble foyer d’études un foyer de rêveries exaltées. Les Annales de Halle, organe de la jeune école hégélienne, paraissent en 1838. « La Prusse n’existe plus, — dira bientôt un des chefs du parti, — nous quittons la Prusse pour l’Allemagne. » Et les Annales de Halle deviendront les Annales allemandes. La Prusse n’existe plus ! parole caractéristique dans le sujet qui nous occupe, indice de la haute place que les esprits même les plus violens assignaient à la monarchie de Frédéric. C’est comme s’ils eussent dit : Vous deviez prendre en main la cause de la société moderne, et vous abdiquez devant l’ennemi commun, Vous consentez à servir la sainte-alliance ! Trahis par ceux qui étaient chargés de nous conduire, nous ferons seuls nos affaires.

On vit bientôt cependant que la Prusse existait toujours. Dès l’avènement du roi Frédéric-Guillaume IV en 1840, c’est elle qui redevient le centre de l’Allemagne. Tant que le roi, si durement éprouvé en 1806, avait occupé le trône des Hohenzollern, il semblait qu’on fût d’accord pour ne pas troubler sa vieillesse. On se rappelait que, timide et irrésolu avant les jours d’épreuve, il avait grandi dans l’infortune. On lui savait gré de ne pas avoir désespéré de la patrie après Iéna et Auerstædt. Si les démocrates passionnés disaient que la Prusse était morte, les esprits sages ajournaient à l’ouverture d’un nouveau règne les réclamations du libéralisme. Aussi quel concert en 1840 ! De tous les points de la confédération éclatèrent des plaintes, des vœux, des cris d’espoir, des sommations impérieuses. Toutes les Allemagnes, celle du nord, celle du midi, toutes les Allemagnes libérales, avides d’action et d’unité, exigeaient que la Prusse prît enfin la direction de la cause commune. Ces désirs impatiens se faisaient jour par toutes les issues. Le philosophe dans sa chaire les exprimait aussi ardemment que le