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se dire libéral, démocrate, socialiste, républicain-fédéral, et en même temps ne jurer que par l’Autriche, faire cause commune avec les ultramontains et les particularistes. Sans recourir à ce lieu commun que les extrêmes se touchent, essayons de trouver le mot de l’énigme. Cette coalition d’élémens hétérogènes dont le seul lien est la haine de la Prusse ou la haine au National-Verein, ou la haine des libéraux de Gotha, savez-vous ce qui l’a produite ? C’est la répugnance que cause l’état proprement dit, l’état organisé, l’état moderne, à des esprits qui ont vécu jusqu’à présent hors des conditions de l’état[1]. » Voilà bien une théorie prussienne ! Le Prussien est persuadé que son pays seul en Allemagne possède les institutions vitales de la société moderne ; il est persuadé que ses frères de Saxe, de Bavière, de Bade, de Wurtemberg, en s’unissant à la Prusse, passeraient de l’âge de tutelle à la majorité virile, et que, s’ils résistent sur tant de points, c’est que les austères devoirs de l’émancipation leur font peur. Eh bien ! ce sont ces explications insultantes, tout au plus excusables dans l’ardeur de la lutte, qui doivent disparaître à jamais. En s’habituant à considérer le mouvement de la vie allemande d’un point de vue moins étroit, les défenseurs de la Prusse comprendront ce qu’ils ont à gagner chez ces frères mineurs dont ils parlent encore avec tant d’injustice. Une des grandes lois de cet état moderne qu’ils invoquent, c’est l’expansion de toutes les forces et l’harmonie des contraires. D’heureux échanges s’établiront, et un peuple nouveau surgira. Voilà dans quel sens la disparition de la vieille Prusse au sein de l’Allemagne est une condition essentielle de vitalité pour l’œuvre accomplie et pour celles qui se préparent.

À ce respect de l’Allemagne, que nous considérons comme une des obligations de la Prusse, se rattache naturellement un autre devoir où toute la société européenne est intéressée. L’art allemand, la science allemande tiennent une large place dans le patrimoine du genre humain ; ayez soin de leur épargner le moindre dommage en ce renouvellement de la patrie. Un des charmes les plus pénétans de la culture germanique, c’était une sorte de candeur, d’ingénuité, une sorte de christianisme latent au milieu même des plus audacieuses témérités de l’intelligence ; c’était aussi la richesse des traditions, la diversité des écoles, l’émulation des capitales, surtout de ces capitales de l’esprit qu’on appelle les universités. Que de fleurs même dans les bruyères ! que d’arbres vigoureux dans les plis cachés des montagnes ! En Saxe, en Thuringe, dans les vallées du Neckar, combien de germes déposés par les siècles et qui s’épanouissaient à chaque renouveau de la pensée ! Tâchez que l’unité

  1. Die Grenzboten, 6 juillet, p. 40.