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Cependant l’idée de la ligue américaine ne devait plus être abandonnée. Désormais elle n’était plus seulement dans les vœux de quelques patriotes intelligens, elle commençait à passionner le peuple lui-même dans les républiques les plus avancées. Pendant les années qui suivirent les négociations relatives au traité continental, les divers gouvernemens ne cessèrent d’échanger des notes relatives à cette question, et, ce qui vaut encore mieux, les journaux et les assemblées politiques de toute l’Amérique du Sud reprirent et discutèrent de plus en plus sérieusement les projets d’union fédérative. Dès le mois de janvier 1864, le cabinet péruvien était poussé par l’opinion publique à proposer un nouveau congrès américain, et la plupart des états s’empressèrent d’envoyer leur adhésion.

Le moment était bien choisi, car jamais, depuis la guerre de l’indépendance, pareil danger n’avait menacé les jeunes républiques du Nouveau-Monde. Depuis deux années déjà, le Mexique était envahi par des troupes européennes ayant pour mission non-seulement de demander la réparation de certains griefs, mais aussi d’aider à la fondation d’une monarchie. Une forte armée espagnole ayant pour base d’approvisionnemens l’île si riche de Cuba avait fait irruption à Saint-Domingue « pour répondre aux vœux des bons citoyens » de cette ancienne colonie, et, non content de cette tâche, le gouvernement de Madrid cherchait encore de nouvelles difficultés avec le Pérou. Enfin, au sud du continent, on commençait à voir la main du Brésil dans la conspiration de Florès contre la Bande-Orientale. Un fait des plus graves est que toutes ces agressions coïncidaient avec la guerre civile des Américains du nord, et que dans cette lutte les puissances de l’Europe occidentale avaient singulièrement favorisé les rebelles en se hâtant de leur reconnaître les droits de belligérans, même en laissant des corsaires s’armer et se ravitailler dans leurs ports et leurs arsenaux. Les États-Unis s’étant depuis longtemps posés comme les adversaires à outrance de toute intervention des gouvernemens d’Europe dans les affaires intérieures de l’Amérique, on voyait en eux les gardiens jaloux de l’indépendance des républiques sœurs, et c’est précisément l’époque où l’Union était engagée elle-même dans une terrible lutte que choisissaient les puissances européennes et le Brésil pour attaquer sur plusieurs points à la fois les Hispano-Américains. N’était-il pas naturel de croire, à la vue de ces événemens, qu’ils faisaient partie d’un grand projet de restauration monarchique dirigé contre toutes les républiques du Nouveau-Monde ? Les diverses interventions qui ont eu lieu dans les états de l’Amérique espagnole peuvent être en partie des faits sans rapport direct avec la grande rébellion des planteurs ; mais ils s’y rattachent