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joue aux dés ; mais tout à coup Cinthie entre en abattant les portes, et enfonce ses ongles dans le visage de Phyllis. Teïa crie au secours. Les bourgeois du voisinage se réveillent au bruit qui trouble la rue. Un cabaret voisin reçoit les fugitives. Cinthie alors soufflette Properce, et lui impose, avant de se réconcilier, des conditions parmi lesquelles se trouve celle de ne pas regarder de côté vers la porte supérieure du théâtre. C’est là qu’Auguste avait relégué les femmes.

L’on voit ailleurs qu’il fallait donner aux portiers de ces dames ce qu’il faut donner aujourd’hui aux portiers des grandes dames de Rome, si l’on veut arriver jusqu’à elles, et qu’on appelle la buona mano :

Janitor ad dantes vigilet : si polset inanis,
Surdus in obductam somniet usque seram.

Properce fait parler la porte d’une de ces dames. « Moi, dit-elle, devant qui s’arrêtaient les chars dorés, moi que baignaient les larmes des amoureux supplians, maintenant je gémis maltraitée dans des rixes nocturnes d’ivrognes et battue par d’indignes mains. » À cette porte, on suspend des couronnes de fleurs qui déshonorent sa maîtresse, chansonnée par la ville. On y voit aussi les torches éteintes que les soupirans éconduits ont jetées en partant. Pendant ce temps, un pauvre amant passe la nuit dans le carrefour, couché à terre, à se morfondre et à supplier en vain de s’ouvrir la porte, qui ne s’ouvre point. Cette porte joue un grand rôle dans toutes les poésies amoureuses de ce temps. Tibulle adresse à la porte de Délie tantôt des prières, tantôt des malédictions. Après s’être emporté contre elle, il lui demande pardon, comme il ferait pour Délie elle-même.

Le portier, esclave qu’on enchaînait parfois dans sa loge, était un personnage qu’il était fort important de gagner. Une élégie d’Ovide, adressée au portier de Corinne, peut nous donner quelque idée des chants que les amoureux transis, mais seulement de froid, adressaient à leurs inhumaines ; car on y sent comme une espèce de refrain : « tire le verrou[1], excutepost seram, » répété plusieurs fois.

Ces dames avaient quelquefois à leur service des eunuques, comme les reines d’Orient.

Quant à leurs agrémens personnels, les blondes étaient plus recherchées, parce que dans les pays méridionaux elles sont plus rares. Lorsque cet attrait leur manque, elles y suppléent par une chevelure empruntée, ce que Properce reproche à Cinthie. Leur beauté n’est pas toujours la même. Cinthie était grande, elle avait la main longue et fine, la beauté imposante de Junon et de Pallas,

  1. Ou la barre qui sert encore à fermer les portes à Rome.