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c’est simplement et purement dégoiser des notes; mais la technique de cet instrument divin qu’on appelle la voix humaine, son art d’exprimer la passion en divers styles, le beau chant, vous demeurent des choses absolument étrangères, et qu’il vous faut aller étudier chez les maîtres d’abord, ensuite chez les grands chanteurs que vous n’avez ni assez entendus, ni assez pratiqués. Que diriez-vous d’un traître qui, vous destinant un concerto de piano, placerait toutes les difficultés dans la main gauche (Weber avait en effet la main gauche moins brillante)? C’est cependant ce que vous faites à l’égard de tous ces malheureux pour qui vous écrivez des rôles! » Et l’impétueux archiviste terminait sa harangue en envoyant Weber s’instruire à l’école du vieux Marpurg, lequel, quatre-vingts ans plus tôt, avait proscrit, banni, mis hors la loi du chant toute cette affreuse séquelle de tierces augmentées, de sixtes augmentées ou diminuées, d’octaves diminuées, etc., etc.

La musique de Weber veut être chantée librement, franchement. C’est de la voix et encore de la voix qu’il faut au maître allemand, et il vous la prend toute, sans réserve, avec la froide indifférence d’une idole d’Irminsul pour ses victimes. Il lui faut le sacrifice humain. Savoir chanter est ici presque sans application. Prenons la grande scène d’Agathe au second acte et la prière au troisième : pour quelle voix cela est-il écrit? Assurément pour deux, car une seule n’y saurait suffire. On vous demande là un si au-dessous de la ligne, plus sonore, plus corsé que celui de l’Alboni, plus un mi sur la première ligne en belle et bonne voix de poitrine, et en outre il est fait appel à des qualités de soprano telles que peu de cantatrices les possèdent aujourd’hui, de quoi Weber se moque bien, la voix n’étant pour lui qu’un instrument comme la clarinette, le basson ou le cor. Qu’arrive-t-il? La plus grande partie du rôle d’Agathe étant écrite pour l’octave entre le la sur le second espace et le la au-dessus de la ligne, le rôle échoit d’ordinaire aux soprani, et dès lors tout un côté magnifique de la grande scène par exemple, tout cet admirable spianato si religieux, si large et si beau, écrit pour un mezzo soprano bas ou pour un contralto, s’efface et disparaît dans l’ombre.

Il est convenu que le rôle appartient aux soprani. Je le veux bien, mais qu’alors les soprani soient robustes, les clairons haut sonnans. Mme Lauters, qui chanta le rôle d’Agathe à la dernière reprise du Freischütz au Théâtre-Lyrique, répondait à presque toutes ces conditions vocales. D’interprétation française de cette musique, il n’y en a pas eu jusqu’ici de comparable à la sienne. En revanche. Mme Carvalho ne sera jamais la cantatrice de ce rôle. Trop de style! Weber n’en demande point tant. Quand il s’agit de Mozart, à la bonne heure! Au second acte, le superbe adagio dont je viens de parler est dit par elle posément, purement, mais sans aucune espèce d’originalité dans l’accentuation, sans couleur, d’une façon toute magistrale. Duprez soutenait que chez un chanteur la voix est un obstacle;