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couvre d’une protection efficace le lieu de sa sépulture. Plusieurs rois, après avoir creusé des étangs, ont eu soin, pour consolider l’ouvrage, d’y faire précipiter des victimes humaines, auxquelles on a érigé des chapelles sur les bords. Le roi Noatasa noya de cette façon la reine sa femme, et on a assuré à M. Bastian que, lors de la fondation de Mandalay, on célébra des sacrifices humains pour ensevelir les victimes sous les tours de l’enceinte fortifiée, sous les portes et sous le trône du monarque. Le roi s’était longtemps opposé à cette mesure, mais les ministres avaient tenu ferme pour le maintien des saintes pratiques d’autrefois.

Il est peu honorable pour le clergé birman que des superstitions si atroces et si contraires à l’esprit du bouddhisme fleurissent dans un pays où il exerce une domination absolue. Les moines en effet sont tout-puissans à Birma, leur autorité spirituelle est incontestée ; . mais c’est peut-être là précisément la cause de leur insouciance. Ils devraient cependant y prendre garde : sans parler de la guerre que leur font les missionnaires chrétiens, il s’est élevé dans le pays même, au sein des indigènes, des protestations contre la puissance monacale. Les plus remarquables parmi ces opposans sont les paramats, secte de libres penseurs qui s’est formée vers la fin du dernier siècle. Elle n’admet que l’existence d’un être suprême, éternel, habitant au plus haut des cieux, semblable à une montagne d’or, invisible aux regards mortels et ne s’occupant pas des choses de la terre ; elle professe aussi l’égalité de tous les hommes. Ces théories en elles-mêmes ne feraient pas ombrage au clergé bouddhique, et il en supporterait patiemment la rivalité ; mais quand les paramats proclament la vanité du culte des images et l’inutilité des pagodes, quand ils affirment que les moines ne méritent pas les honneurs qu’on leur rend, que celui-là seul est le meilleur qui vit le mieux, qu’il n’est pas nécessaire, pour être un saint, d’avoir un habit jaune, d’être rasé et de mendier, ils ne tendent à rien moins qu’à la dissolution du bouddhisme. Aussi les moines les ont-ils en horreur et les regardent-ils comme de dangereux et impudens sophistes, capables de démontrer par exemple, sans qu’on puisse les réfuter, « qu’une boîte à bétel est un paillasson, » et de soutenir avec une habileté perverse les thèses les plus insensées. Ces sectaires ont compté parmi leurs partisans un roi, Bodo, qui poussa le zèle et l’intolérance jusqu’à forcer le premier dignitaire du clergé bouddhique, le pape des Birmans, à prendre femme ! Il était impossible de faire un plus sanglant affront à toute la société religieuse et à l’institution monastique, car le mariage et en général tous rapports entre les deux sexes sont considérés comme le plus grand obstacle à la perfection bouddhique. Tous les rois n’ont pas ressemblé à Bodo ; la