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— comme une étoile à l’éclat doré. — Jamais je ne pourrai l’oublier, — jamais elle n’est loin de moi, — brillante image de la mémoire, — sur le sol nébuleux de l’affliction !… — Comme un rêve, devant mes yeux — flottent les images des temps passés ; — elles m’appellent, elles me font signe. — Cependant, comme si un vaste océan — me séparait de ma maison, — de ma femme, de mes enfans, — aucun messager ne m’arrive — ici, dans ce désert de l’exil…. — Quand la ville éclate en chants de triomphe, — que des troupes aux costumes variés se pressent dans les rues, — se hâtant vers les temples richement ornés — où vous aussi, mes enfans, vous alliez jadis, — en ce temps-là même l’indigence et la pauvreté vous accablent. — Vous regardez tristement ces joyeuses saillies des autres, — vous pensez dans le deuil à votre père exilé, — pauvres enfans maintenant sans père. »


L’exilé rentra en grâce et recouvra ses honneurs ; mais on ne se souvient guère de l’homme d’état, tous les Birmans savent les vers du poète.

Ces réunions se passèrent toujours fort heureusement ; cependant elles s’annonçaient quelquefois sous des auspices assez inquiétans et ne furent pas exemptes d’incidens fâcheux, comme va le prouver le récit de l’une d’elles, qui date de la dernière période du séjour de M. Bastian, Un de ses plus assidus visiteurs était un jeune prince de bonne mine, dont la conversation ne manquait pas de charme. Il racontait surtout les histoires avec une grâce inimitable ; mais son regard prenait parfois une expression sauvage et effrayante, et il avait dans les manières une familiarité et une indiscrétion que M. Bastian fut plus d’une fois obligé de réprimer. Il vint un soir avec une suite nombreuse de compagnons à l’air assez insolent, par lesquels l’appartement fut comme envahi ; le prince lui-même avait ce soir-là un air plus dégagé et plus cavalier qu’à l’ordinaire. Par une précaution instinctive, M. Bastian, qui se trouvait seul à la maison (il avait donné congé à tous ses domestiques), fit tomber la conversation sur les armes, et en prit occasion de montrer au prince un de ses revolvers, qu’il eut soin de garder près de lui. La soirée se passa en causeries et en récits que le prince enfila l’un à l’autre pendant toute la nuit avec une inépuisable fécondité ; mais, tandis que M. Bastian était tout oreilles, des voleurs, perçant le toit et pénétrant dans la salle voisine, réservée au principal domestique absent, firent place nette. Le lendemain, le pauvre homme vint en pleurant se plaindre à son maître d’avoir été complètement dévalisé. Les réclamations de M. Bastian causèrent une certaine émotion : on fut très inquiet que le roi n’eût vent de cet acte audacieux ; on rechercha les voleurs, qui ne furent point découverts, et on indemnisa très incomplètement le volé, qui dut à