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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/136

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l’armée anglaise et qui cependant aima mieux lui laisser prendre plusieurs provinces que de priver de la vie des êtres qui la possèdent, n’aura probablement qu’un regard de pitié et de mépris pour les souverains d’Occident, et déplorera que ces koula n’aient pas plus de goût pour les saints enseignemens de Gautama.

Au total, le temps se passait assez agréablement pour M. Bastian : audiences du roi toujours empreintes d’un bienveillant intérêt, visites nombreuses, variées et animées, leçons curieuses et intéressantes, sinon profondes, d’un maître indigène, tout semblait aller au gré de ses désirs et lui offrir une riche moisson d’enseignemens et d’observations nouvelles et piquantes. Il put les compléter encore par les fêtes données durant son séjour soit dans la ville, soit dans le palais, et qui, si elles ne le divertirent pas beaucoup, piquèrent du moins sa curiosité.

Le prince royal donna une fête dans sa résidence à l’occasion du jour anniversaire de la naissance de sa fille. La partie principale de la fête fut une représentation théâtrale qui ne dura pas moins d’une semaine et qui avait pour sujet les aventures de Rama. Les jeux scéniques sont fort du goût des peuples de l’Indo-Chine. M. Bastian parle de deux représentations qu’il a vues, l’une à Mandalay, l’autre dans son voyage le long de l’Iraouaddy ; elles étaient offertes au public par des particuliers à l’occasion de quelque événement de famille, soit parce que le fils était entré au couvent (ce qui est un grand honneur), soit parce que l’on avait percé les oreilles à la fille. Dans ces comédies, qui se distinguent par la licence du langage et même du geste, le roi et la cour sont presque toujours en scène directement ou indirectement ; il s’agit par exemple de jeunes filles qu’on vient chercher et dresser aux manières de la cour pour en faire des dames d’honneur, ou qui viennent se plaindre à sa majesté d’avoir été malmenées par le fils du roi. Ces pièces de théâtre, dont il existe du reste une assez grande variété, sont donc fondées sur la peinture des mœurs régnantes : ce sont de véritables comédies ; mais à la cour le théâtre semble être monté sur un ton plus élevé. On y représente les traditions héroïques de l’épopée, c’est le drame ou la tragédie grecque agrandie selon les proportions colossales des poèmes hindous.

Plusieurs fêtes sont ou liées à des événemens relatifs à la religion, ou essentiellement religieuses. Ainsi une fête fut donnée sur la colline de Mandalay lors de la pose de la première pierre d’une pagode par le roi. À cette occasion on fit de la musique dans les jardins de la ville royale ; le roi s’y promena à plusieurs reprises, des rafraîchissemens circulaient dans des vases d’or. On avait dressé une tour en bambou du haut de laquelle le roi pouvait