Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/183

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

premier opéra : Artaxerce. En 1745, il visite Londres et Copenhague, revient par Vienne en Italie, puis retourne à Vienne (1772 ).

Nous l’abordons au beau moment du règne, au plein de l’astre. Il a cinquante-huit ans ; <le réformateur s’est déjà révélé. Il a écrit Orphée, Alceste, et, les yeux tournés vers la France, prépare son Iphigénie en Aulide. L’Europe entière le discute. En Angleterre, le docteur Burney l’appelle un Michel-Ange de la musique[1]. Le critique viennois Sonnefels, louant ce système dont la simplicité le fait penser à l’œuf de Christophe Colomb, s’écrie : « Son imagination : est sans limites ; il lui faut non point s’enfermer dans une nationalité musicale quelconque, mais se les approprier toutes ! Allemand, italien, français, son style embrasse tous les styles et trouve imperturbablement dans la nature l’expression vraie ; sa phrase ne cesse jamais d’être en parfait accord avec la situation large, puissante, passionnée, symétrique, dessin pur et correct qu’un admirable coloris complète ! Chaque phrase de sa musique prise à part forme un tout, plein d’agrément, lequel à son tour se rapporte ensuite au grand ensemble d’une si merveilleuse façon qu’on serait tenté de comparer les phrases de Gluck à des matériaux solides qu’il emploie pour la construction de son sublime édifice. » Nous venons d’entendre l’Anglais Burney le proclamer un Michel-Ange ; voici maintenant le Napolitain Planelli qui le baptise un Raphaël, et fonde sur sa partition d’Alceste toute une théorie de la musique publiée en 1772, d’autres disent en 1777. Rien de nouveau sous le soleil ; les mêmes réflexions que nous suggère aujourd’hui l’œuvre d’un Meyerbeer, le savantissime Martini, ce pater profundus de l’époque, les développe en parlant de Gluck. « Il a su réunir les beautés du chant italien à certains avantages particulièrement français, et donner pour base à cette harmonique association la science instrumentale allemande. » Le bon Wieland, lui aussi, se met de la partie, et je saisis au vol, un paragraphe qui ne manquera pas d’avoir son charme pour ceux qui aiment cette note lyrique un peu vague dont se paient volontiers d’ordinaire les beaux esprits philosophiques de tous ses temps lorsqu’il leur prend fantaisie de discourir sur les arts. « Grâces soient rendues au chevalier Gluck, qui ramena le règne de la musique et la replaça sur le trône de la nature, d’où la barbarie, l’ignorance, les préjugés, le mauvais goût, l’avaient précipitée. Fidèle à ce principe de Pythagore, il a préféré les muses aux sirènes, négligeant les frivolités, les ornemens d’un style faux pour cette

  1. Charles Burney : The present state of music in France, notes de voyage publiées dans les premières années du XVIIIe siècle.