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II

Il est d’abord un trait général qui caractérise notre temps. Partout, excepté dans la Grande-Bretagne, le régime féodal s’est modifié au profit et sous l’influence du pouvoir royal. Ce qui s’est passé en France et y a produit la monarchie administrative de Louis XIV n’est que l’échantillon le plus complet et le mieux réussi d’une transformation générale en Europe. Il en est résulté partout un composé d’absolutisme et d’aristocratie, un reste des débris du moyen âge amalgamé avec la civilisation du XVIIe siècle. C’est ce qui a reçu le nom d’ancien régime. Or cet ancien régime est devenu à des degrés différens antipathique à l’esprit nouveau, et en tout lieu il est attaqué, quelquefois par le pouvoir lui-même, toujours par l’opinion publique. La destruction ou tout au moins la réforme profonde de l’ancien régime, tel est l’objet vers lequel tendent, avec plus ou moins d’énergie, toutes les sociétés du continent.

Les censeurs du temps objectent que c’est là un résultat purement négatif. Il faut leur accorder que c’est dans cette œuvre de démolition, dans ce siège presque toujours terminé par un assaut, qu’il est le plus difficile d’éviter l’abus de la force, et, une fois familiarisé avec des habitudes de guerre, l’esprit de réforme risque de devenir et de rester purement révolutionnaire. Or si l’esprit révolutionnaire, comme l’a dit M. Guizot, a ses heures dans l’histoire des nations, il ne saurait régner d’une manière exclusive et permanente, et le génie politique des peuples se montre dans l’art difficile de lui faire sa part, de le contenir et de le remplacer à temps par l’esprit d’organisation et de légalité.

Cet art n’a point seulement pour objet l’établissement de l’ordre, car il y a bien des sortes d’ordre. De l’ordre, il y en a partout ; l’ancien régime lui-même était de l’ordre. L’ordre auquel tendent les révolutions modernes, c’est l’ordre dans la liberté. Tout le monde le sait, la liberté est le caractère éminent du nouveau régime auquel aspire ou parvient la société européenne. Elle est le nom commun de deux sortes de garanties qui assurent l’une la liberté civile, l’autre la liberté politique. Celle-là a besoin d’une législation qui procure aux citoyens le plein exercice de leurs facultés naturelles dans les limites du droit, celle-ci réclame un système d’institutions propres à faire intervenir la société dans son gouvernement par la presse, l’élection, la tribune, et la responsabilité du pouvoir qui agit devant le pouvoir qui délibère. Ce sont