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J’avoue ici que le sort de cette infortunée Musique me touche sincèrement, et si quelque chose m’étonne, c’est de lui voir accepter ces dédains lorsqu’elle aurait si beau jeu à remettre à sa place, en quatre mots, l’impertinente péronnelle. « Ce que je vais faire sans vous, ma mie, attendez un peu, vous allez le savoir. Je vais faire la symphonie en ut mineur, et l’héroïque et la pastorale, moins que rien, vous voyez ! Je vais faire encore les ouvertures d’Egmont et de Coriolan et toutes les sonates. Et, dans le cas où ce simple menu ne vous suffirait point, nous y joindrons, comme hors-d’œuvre, toutes les partitions purement et simplement symphoniques des Haydn et des Mozart, toutes les rêveries instrumentales de Weber, toutes les romances sans paroles de Mendelssohn ! » Le malheur veut que les allégories, de leur nature ; ne soient jamais que des sottes, et celle-ci, comme ses sœurs, n’y voit pas plus loin que le bout de son nez.

Qui voulait voir et saisir, c’était Rousseau, et quand il ne comprenait pas, il fallait, bon gré, mal gré, que le maître lui rendît des comptes. Ainsi dans son opéra de Pâris et Hélène Gluck, selon Rousseau, avait failli par trop d’exactitude ; ses scrupules touchant l’accentuation musicale, la vérité absolue des caractères, l’avaient précipité dans un anachronisme. En donnant à son Pâris cette langueur, cette mollesse attribuée aux mœurs phrygiennes, tandis que dans son chant Hélène affecte au contraire l’expression simple, austère, évidemment Gluck s’était rendu coupable d’une grave erreur. Il avait oublié que de Lycurgue seulement datait l’inflexible rudesse des mœurs lacédémoniennes, et que la belle Hélène fut mise au monde bien des années avant la venue du farouche législateur. Quand on se mêlait de vouloir raisonner avec Gluck, on devait s’attendre à rencontrer forte partie ; En fait d’argumens, l’auteur d’Alceste était comme ce personnage de Molière à qui « tout Naples est connut » On ne le prenait point en défaut. — « La critique est spécieuse, répondit-il, et plût à Dieu que je n’eusse jamais affaire qu’à des juges ayant vos lumières ! Toutefois cette manière de voir n’est point la mienne. Hélène sans doute aime Pâris, mais de quel amour ? Homère n’a garde de nous le laisser ignorer. Elle s’efforce de relever le cœur de son amant, de lui inspirer l’ardeur de la gloire. L’éloge même de ces vieillards qui la voient passer me donne pour son caractère une estime presque égale à l’idée que je me fais de sa beauté. Ce n’est donc pas spécialement la femme de Sparte que j’ai voulu peindre, mais une âme forte et magnanime. De là ce chant simple, grave et, j’ose ajouter, agréablement persuasif que j’ai mis sur ses lèvres. » Meyerbeer, quand j’y pense, ne discutait pas autrement. Même sérieux, même élévation philosophique, avec cette différence toutefois que Gluck est un ancien, et l’auteur des Huguenots un moderne.