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point se forme et s’éclaire cette population des ateliers, si prompte naguère à se jeter dans les aventures. S’est-elle amendée ? A-t-elle appris à mieux régler ses ambitions ? Voit-elle enfin clairement ce qu’il en coûte de dépasser le but, de prendre des illusions pour des réalités, et d’abonder jusqu’au vertige dans les idées de mauvais aloi mises en circulation ?

Il ne manque pas de voix pour trancher ces questions par des réponses affirmatives. Oui, dit-on, l’éducation des ouvriers est très avancée, presque achevée en beaucoup de points. L’expérience les a rendus plus traitables ; ils ont dépouillé le vieil homme, et à l’occasion on le verra bien. Non pas qu’ils aient renoncé à leur mot de ralliement ; ce désaveu leur eût trop coûté, et ils ne feront pas cette concession à des terreurs puériles : c’est encore du socialisme qu’ils veulent faire, mais du bon socialisme et non du mauvais. Ainsi ils reconnaissent volontiers le tort qu’ils ont eu, il y a dix-huit ans, de saisir l’état des griefs qu’ils avaient à faire valoir et d’en mettre la réparation à sa charge ; ils conviennent avec les hommes sensés que l’état n’a pas de catégories à établir entre ses administrés, et que, lorsqu’il a donné à tous, quels qu’ils soient et au même degré, la liberté, la sécurité nécessaires à l’exercice de leurs professions, sa tâche est remplie. Dans une civilisation virile, chacun est tenu à se frayer la voie par ses moyens propres, par ses seuls efforts ; c’est à quoi visent désormais les ouvriers. Tout arbitraire leur répugnerait, ils ont la pleine conscience de leur force et ne comptent plus que sur eux-mêmes. Ce qu’ils demandent seulement, c’est qu’on respecte leurs droits, comme ils sont résolus à respecter le droit d’autrui. Ils ont mieux étudié les ressources dont ils disposent, les combinaisons qui doivent les conduire à un avancement régulier ; libres d’agir, ils sont certains de se suffire dans tous les accidens de la vie. La recette est des plus simples : traiter avec l’entrepreneur d’industrie sur le pied d’une entière égalité, associer leurs épargnes pour les faire fructifier à leur gré ; rien de plus, rien de moins. À ce prix, ils arriveront au but qu’ils poursuivent ; la dignité dans l’indépendance. Quant aux anciens griefs, ils en font bon marché. Ce qu’il y avait de faux et d’insensé dans leurs plans d’autrefois, d’injuste et de violent dans leurs actes, ils le désavouent. Ils ont profité des leçons du passé, acquis des notions plus saines sur la manière dont se forme et se distribue la richesse sociale, reconnu les divers élémens qui y concourent et la part d’attributions qui leur revient, sans en exagérer l’étendue, ni en confondre les limites.

Voilà ce qu’on nous dit au nom des ouvriers, comment on les dépeint, de quelles dispositions on les montré animés. Ce tableau