Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/21

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vivement et plus communément dans les masses, il devient un objet de véritable émulation. Or une croyance assez naturelle, quoique l’amour-propre et l’imagination la suggèrent plus peut-être que la raison, nous porte à placer plus haut le titre de citoyen d’un grand état que d’un petit. La philosophie pourrait y voir un préjugé. Pour l’honneur véritable comme pour la liberté réelle, il y aurait beaucoup à dire en faveur des membres de ces communautés restreintes qui ont les premières dans l’histoire donné l’exemple du respect des droits de l’espèce humaine ; mais l’histoire aussi nous apprend quel a été la plupart du temps leur sort. Depuis des siècles, les grands états les ont traitées de façon à prouver qu’elles étaient le noble asile plutôt que l’asile sûr de l’indépendance. La guerre acharnée que leur a faite l’ambition des conquêtes, animée par la crainte de leurs bons exemples, a forcé de reconnaître que pour être libre avec sécurité il fallait être fort, et qu’un vaste territoire, de grosses finances, une armée nombreuse, sont une sauvegarde trop souvent nécessaire à la liberté qui se défend. Ces diverses causes ont produit une tendance générale à la formation de grands états par le démembrement ou l’annexion des petits. Cette tendance n’est pas innocente et salutaire à tous égards ; elle ne peut guère se passer du secours de la force. Elle sert aisément de prétexte à la violence et à l’iniquité, et lors même que ces créations d’états nouveaux sont déterminées par un but légitime et populaire, elles ne peuvent encore s’accomplir sans porter atteinte à des droits acquis, au moins à des conventions qui ont la sanction du temps. C’est encore là une des applications de l’esprit de réforme qui prêtent le plus aux empiétemens de l’esprit révolutionnaire.

Il est encore un principe qui a pris récemment un certain empire et qui fait le plus grand bruit, c’est le principe des nationalités. Il ne semblait pas au premier abord devoir naître du mouvement qui a vers la fin du dernier siècle agité l’Europe. On eût peut-être étonné les membres de l’assemblée constituante, si on leur en avait parlé. Tout prenait alors un caractère philosophique, abstrait, et la théorie des droits de l’homme et du citoyen n’a pas l’air de supposer qu’il y ait dans la société autre chose que la nature humaine. C’est depuis cinquante ans que, par un mouvement d’idées trop long à expliquer, on a fait en quelque sorte la découverte de la nationalité en tant que règle, cause, principe ou condition dans la politique pratique ; C’est une des revanches prises par l’esprit historique sur l’esprit philosophique. Une paisible révolution dans le champ de l’étude spéculative a introduit un nouvel élément, une force nouvelle au sein des réalités sociales. Le partage de la Pologne n’avait indigné nos pères, et même assez faiblement, que comme un rapt de