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réhabilitation. Le peuple est par lui-même plus capitaliste qu’on ne l’avait jusqu’ici supposé ; avec les centimes de son épargne, il peut composer des millions. L’essentiel est qu’il ne les laisse pas sortir de ses mains et les applique exclusivement à des services dont il aura la conduite et le profit direct. Ainsi parlent les ouvriers : association ou coopération, peu importe le mot, c’est le même procédé avec quelque variété de formes, c’est surtout le même dessein. Il n’y a plus à insister sur ce mouvement, dont on a exagéré l’importance, et qui vit un peu sur le bruit qu’on en a fait : ce bruit assoupi, le mouvement se réduira de lui-même à de minces proportions. Qu’il suffise de noter ici ce nouvel envahissement de l’esprit de corps. Comme cet esprit se glisse dans tous les actes, comme il enlace habilement les ouvriers, et quelle cohésion il leur donne ! Les voici presque constitués à l’instar d’un état, avec une armée dans les cadres de leurs grèves et des finances dans la concentration systématique de leurs fonds.

De tous les problèmes du travail, celui qui embarrasse le plus les ouvriers, c’est l’emploi des femmes et des enfans. Au fond, ils n’y voient qu’une concurrence onéreuse et la supportent avec impatience. On a pu s’en convaincre à Paris dans les industries où les femmes ont suppléé les hommes en partie ou en totalité. L’opposition d’intérêts a causé des orages, même des grèves. Dès qu’elle se contentait d’un salaire réduit, la femme devenait un obstacle, presque une ennemie ; elle ne laissait plus à l’homme la liberté de ses mouvemens dans les discussions de salaires. Au congrès de Genève, où la question a été posée, on n’est guère sorti d’un langage de convention. Pas un mot qui pût trahir l’esprit de rivalité ; au contraire un concert de doléances sur la condition précaire que notre civilisation fait aux femmes, sur les dangers du séjour dans les ateliers, qui énervent les corps et pervertissent les âmes : d’où la conclusion prévue qu’il faudrait, fût-ce par une loi ou des mesures de police, réserver aux hommes seuls l’accès de la manufacture, suspecte d’insalubrité matérielle et morale. Après deux ou trois discours de ce genre, tous fort applaudis, on allait passer au vote quand un opposant se leva. Il fit timidement observer que dans beaucoup de cas la femme, en s’employant dans les ateliers, ne fait que céder à la nécessité, — et que l’en exclure, c’était lui ôter son pain. « Il se peut, ajouta-t-il malgré quelques murmures, que le mélange des sexes pendant les travaux engendre de mauvaises mœurs ; mais ce qui les engendre plus infailliblement encore, c’est la misère combinée avec l’oisiveté. Un travail réglé, qui entretient l’aisance, est le meilleur et le plus sûr des préservatifs. » L’observation n’était pas sans valeur, mais le congrès n’en tint pas compte. Par une première résolution, il proscrivit en principe le travail des