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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/250

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tante matière. Dès l’abord et à chaque pas, on rencontrera des questions politiques qu’il sera impossible d’éluder. Les tendances les mieux accusées de notre époque nous annoncent un rapprochement inévitable des élémens civils et des élémens militaires chez les peuples qui marchent aux premiers rangs de la civilisation. Partout où se manifeste la vigueur véritable, on voit le citoyen derrière le soldat, le devoir civique s’unir de plus près à la profession militaire. Les États-Unis viennent de nous donner l’exemple le plus grandiose de cette pénétration du civisme dans l’armée à travers la lutte intérieure qu’ils viennent de soutenir. En Angleterre, que sont ces volontaires dont nous avons eu la maladresse de provoquer la création spontanée, et qui pourraient aujourd’hui fournir 200,000 combattans, sinon des citoyens qui ont compris spontanément l’obligation patriotique du service militaire ? La puissance de guerre de la Prusse provient tout entière d’une obligation semblable reconnue et acceptée par un peuple dont le patriotisme avait été blessé par les plus cruels revers. On est soldat en Prusse parce qu’on est citoyen, et les qualités militaires y sont l’effet immédiat de la vertu civique. Or nous avons beau en France entretenir par notre indifférence et notre inertie politique intérieure la magnifique ignorance où nous sommes de ce qui se passe chez les autres peuples ; il ne dépend pas de nous d’arrêter le mouvement général des choses. Nous essayons en vain d’être immobiles, tout marche autour de nous. Quand des événemens décisifs viennent nous réveiller dans notre léthargie et nous apprendre ce qui se passe réellement, nous sommes bien forcés de regagner par un impétueux élan le terrain que nous avons perdu.

Nous apprenons aujourd’hui que nous avons besoin d’un million de soldats : nous sommes bien obligés d’apprendre aussi, à l’école des peuples qui se montrent capables de puissans efforts, à quel prix on s’assure ces garanties patriotiques. Pour être à la hauteur de ces grands sacrifices, il faut qu’une nation s’intéresse énergiquement à ses affaires publiques ; pour prendre cet intérêt vivace à ses affaires, il faut qu’une nation ait la conscience qu’elle en gouverne elle-même ou qu’elle en domine la direction. Il faut que tous ses citoyens, par le sentiment qu’ils ont de pouvoir agir sur le gouvernement, aient le courage, prennent le goût, contractent l’habitude de discuter avec vigilance et assiduité les intérêts du pays. Pour obtenir d’un peuple la constitution d’une armée vraiment efficace d’un million d’hommes, il faut que ce peuple mette son cœur dans cette œuvre de patriotisme. Le moyen d’obtenir cet élan dans le sacrifice n’est point de marchander les garanties de la liberté et de la dignité des discussions, de laisser subsister les obstacles qui restreignent l’initiative de la représentation ordinaire du pays. Comme nous avons la conviction que chacun en cette circonstance fera son devoir, nous espérons que le gouvernement sera éclairé par les lumières qui vont jaillir de cette grande délibération, et comprendra qu’en demandant à la France des soldats il doit lui donner de