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plus grande partie de sa carrière s’est passée depuis lors en Orient, et personne n’a fait plus complètement que lui cette éducation de politique levantine qui depuis un siècle et demi est regardée en France comme la meilleure école de diplomatie. L’ancien directeur politique, M. de Banneville, serait ambassadeur en Suisse, et aurait ainsi la récompense des années laborieuses qu’il vient de passer au ministère des affaires étrangères. Il aurait pour successeur à la direction politique M. Desprez, déjà sous-directeur, qui a été depuis douze ans un des collaborateurs les plus assidus et les plus actifs de MM. Drouyn de Lhuys, Walewski et Thouvenel, et dont nos lecteurs n’ont certainement point oublié les remarquables travaux publiés autrefois dans la Revue. Notre ministre aux États-Unis, M. de Montholon, irait à la légation de Lisbonne. Il aurait pour successeur à Washington M. Berthémy, qui fut le chef du cabinet de M. Thouvenel, et qui fera certainement honneur à l’école où il fut élevé.

Nous venons de prononcer un nom, celui de M. Thouvenel, qui ne pourra plus être répété sans un serrement de cœur par ceux qu’il avait jugés dignes de son amitié. M. Thouvenel a été frappé par une mort prématurée. C’était un talent et un caractère de l’ordre le plus élevé. Nous ne croyons point que depuis longtemps on ait rencontré un homme qui se soit identifié en un si complet élan d’intelligence et de cœur avec ces devoirs et ces intérêts du patriotisme français que représente la vieille tradition de notre ministère des affaires étrangères. En lui, la fusion de l’homme et de la vocation était entière. On a mauvaise grâce, nous le savons, à évoquer à propos des contemporains le souvenir des anciennes figures historiques ; mais, pour trouver une ressemblance à cette ardeur persévérante au travail, à cette vigilance et à cette perspicacité d’argumentation, à ce langage ferme et lucide, à cette puissance de pensée nourrie des grandeurs séculaires de la patrie et couverte d’une fière modestie, on songe involontairement aux révélations que nous ouvre sur un Lyonne ou un Torcy la lecture de ces dépêches où se préparèrent, dans un travail austère et secret, les grands actes de la politique française. Un caractère particulier à M. Thouvenel dans l’époque où nous vivons, c’est qu’il a dû exclusivement au mérite déployé dans l’exercice de ses fonctions les succès de sa carrière. Dans une époque aussi agitée que l’a été la nôtre, où il n’y a guère de célébrités politiques que celles qui ont été acquises dans les anciennes associations et les anciennes luttes de partis, on est généralement arrivé aux positions élevées par les accidens qui favorisaient la cause qu’on avait épousée. M. Thouvenel n’avait aucun de ces liens antérieurs ; éloigné d’abord de la France par sa carrière, il n’appartenait qu’à sa profession et aux intérêts permanens du pays. Ce fut un bonheur pour lui ; puisque le temps de l’action devait lui être si avarement mesuré, puisqu’il devait presser sa vie, il est heureux que son existence n’ait point été déconcertée par les vicissitudes de nos agitations intérieures, et qu’il lui ait été permis de payer sans retard et sans déviation à la France toute la somme des services qu’il était