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l’Autriche subsistait. Le roi Frédéric-Guillaume IV, malgré les incertitudes d’un esprit disparate et compliqué, n’avait pas abandonné l’idée de faire de l’Allemagne, « au lieu d’une confédération d’états, un état fédératif[1]. » La pensée n’est pas neuve, on le voit, et il y eut un moment, à la fin de 1850, où elle fut bien près de mettre les armes aux mains des deux grandes puissances germaniques. C’eût été, avec quelques circonstances différentes, la querelle de cette année, la première crise d’un état chronique qui s’est prolongé jusqu’à présent. Dès lors la politique ambitieuse et insidieuse de la Prusse se montrait grosse de vues et de convoitises, que retenait seule encore l’absence dans son gouvernement d’une volonté forte qui convertît les désirs en résolutions.

Cette volonté devait enfin paraître ; c’est le changement de ces derniers temps, c’est l’accident important et décisif. Comme idée nouvelle, il venait ajouter peu de chose aux programmes de 1848, union restreinte, fédération suivant la définition royale, hégémonie de la Prusse, exclusion de l’Autriche. Il n’y a eu de nouveau qu’une seule chose, le suffrage universel.

L’occasion a été l’affaire du Danemark. Du moment que l’Europe s’abstenait de la saisir pour interposer son autorité, le maintien de l’ordre établi auquel elle paraissait si fort tenir était sérieusement menacé. Pour le sauver ou pour prévenir au moins toute perturbation grave, il fallait prendre un parti ; mais le parti d’agir, personne n’y était porté ni prêt. Restait la ressource des conseils, des vœux, des prévisions, des spéculations d’avenir. Nous en avons tous largement usé, mais toujours en consultant nos penchans et nos habitudes d’esprit ; suivant que nous étions favorables ou contraires à l’indépendance de l’Italie, suivant que nous étions plus touchés du caractère de violence et d’astuce de la politique prussienne ou des traditions de tyrannie de la politique autrichienne, nous nous sommes prononcés à tout hasard pour l’Autriche ou pour la Prusse. Du côté de la première, et plus par calcul que par sympathie, penchaient tous ceux qui craignaient un remaniement du territoire germanique. On se disait que, moins ambitieuse et moins entreprenante, l’Autriche, même victorieuse, pourrait se refuser à toute conquête, et se contenter du statu quo, toujours désiré par les amis de la paix, et la France libérale est aujourd’hui amie de la paix comme la France conservatrice. N’était-ce pas l’Autriche d’ailleurs qui devait l’emporter ? Elle était la plus forte par sa population, par le nombre et l’expérience de ses troupes. Ses généraux avaient l’habitude des grands commandemens, et la Prusse

  1. Voyez ses discours du 18 mars 1848, du 3 avril 1849 et du 15 mai 1850.