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scène, qui a fait le succès des cours de M. Tyndall, se retrouve tout entière adroitement conservée dans son livre. Quant au fond même des leçons, le professeur traite son sujet à petits coups ; il prend son temps pour faire naître successivement dans l’esprit de ses élèves les idées qu’éveille l’étude régénérée de la chaleur. « Souvenez-vous, leur dit-il, que nous entrons dans un fourré, et qu’il ne faut pas vous attendre à marcher dans des sentiers lumineux. Nous devrons d’abord frapper au hasard dans les broussailles. » Quand il a ébauché le principe d’une conception nouvelle, « ne vous découragez pas, se hâte-t-il de dire, si mon raisonnement ne vous paraît pas tout à fait clair. Nous sommes encore plongés dans une obscurité relative ; mais, à mesure que nous avancerons, la lumière se fera graduellement, et par un effet rétroactif elle éclairera nos ténèbres actuelles. » Et ailleurs : « Toutes les fois que dans les Alpes on se met en route pour une expédition difficile, le montagnard expérimenté commence par marcher d’un pas très lent, afin que, lorsque l’heure réelle de l’épreuve sera venue, il se trouve aguerri et non épuisé par le travail accompli. Aujourd’hui nous tentons une ascension abrupte, et je vous propose de la commencer dans le même esprit de prudence, non avec la fougue de l’enthousiasme que la difficulté du travail éteint bientôt, mais avec un cœur patient et résolu qui ne reculera pas quand surgiront les obstacles. » Le professeur se conforme habilement à ce programme excellent, et il met beaucoup d’art à préparer ses élèves aux notions abstraites qu’il veut leur donner ; Toutefois nous ne pouvons nous empêcher d’ajouter que les conclusions du livre restent incertaines et flottantes : l’œuvre ne se couronne pas d’une façon assez nette.

Nous n’avons point à développer ici dans ses détails, l’ayant déjà fait dans une autre occasion[1], l’histoire des travaux et des découvertes qui modifièrent successivement et précisèrent la notion de la chaleur. Comme pour la lumière, deux théories se trouvèrent longtemps en présence : celle qui faisait de la chaleur une substance matérielle et celle qui n’y voyait qu’un mode de mouvement. La matérialité du calorique continua d’être admise beaucoup plus tard que celle de la lumière. Dans les dernières années du XVIIIe siècle, Lavoisier et Laplace, présentant à l’Académie des Sciences un mémoire qu’ils avaient rédigé en commun sur la chaleur, semblaient tenir la balance égale entre les deux opinions. « Nous ne déciderons point entre les deux hypothèses précédentes, disent-ils ; plusieurs phénomènes paraissent favorables à la dernière (celle du mouvement),

  1. Voyez la Revue du 1er mai 1863.