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ils arrivèrent en même temps à mettre en pleine lumière l’équivalence de la chaleur et du travail mécanique, et déterminèrent le rapport de cette équivalence.

Résultat immense ! ce fut comme un phare éclatant qui s’alluma au milieu des ténèbres de la physique quand on proclama ce fait précis : une calorie équivaut à 425 kilogrammètres, ou, en d’autres termes, la quantité de chaleur qui est nécessaire pour élever d’un degré la température d’un kilogramme d’eau peut aussi produire le travail qui consiste à élever 425 kilogrammes à la hauteur d’un mètre. Cette découverte a depuis quinze ans ouvert à la science de vastes horizons. Il en sort comme une nouvelle philosophie de la nature. Une évolution se fait dans les esprits, dont nous voyons seulement l’origine, et ce sont les débuts de ce mouvement que nous essayons d’esquisser.

Toute incertitude a cessé sur la nature même de la chaleur dès que l’équivalent mécanique en a été fixé. Qu’est-ce qui pouvait se transformer en mouvement d’une façon si régulière, sinon un autre mouvement ? Sans doute, ni dans le jeu des machines à vapeur, ni dans aucun autre phénomène, on ne découvrait sur le vif le mode précis de la transformation ; mais l’esprit en saisissait le principe avec conviction. On ne voyait pas le mouvement lui-même, mais on en percevait et on en mesurait les effets.

La chaleur est un mouvement, mais de quelle espèce ? Quelques physiciens ont d’abord imaginé qu’elle pouvait être due aux vibrations longitudinales de l’éther : ils savaient que l’éther, par ses vibrations transversales, produit la lumière ; quant à l’impulsion longitudinale, celle qui se produit dans le sens du rayon éthéré, on ne lui connaissait aucune propriété spéciale, et ils en disposaient pour lui attribuer les effets calorifiques. Cette conjecture, qui ne reposait sur aucune donnée sérieuse, n’a rallié qu’un très petit nombre de suffrages et n’a guère été prise que pour un jeu d’imagination. Dans les idées actuelles, la chaleur est un mouvement des molécules mêmes des corps. Toutes les molécules matérielles sont animées de mouvement ; elles se choquent sans cesse les unes les autres et maintiennent ainsi ou modifient leur état. C’est par leurs chocs que les molécules des corps nous font éprouver la sensation de chaleur, et c’est par l’intensité de ces chocs que nous déterminons les degrés de la température. Cette agitation perpétuelle des molécules constitue par elle-même le phénomène de la chaleur, mais elle peut naturellement se convertir en effets différens ; elle peut, quand les circonstances s’y prêtent, ébranler l’éther et produire de la lumière ; elle peut ébranler l’air et produire des sons ; elle peut se concentrer pour mouvoir des masses et produire ainsi ce qu’on appelle proprement du travail mécanique.