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En règle générale, tous les corps sont susceptibles de ces trois états : le gaz acide carbonique a été liquéfié et solidifié ; l’eau nous apparaît sous forme de glace et de vapeur ; les métaux nous sont connus à l’état de fusion et de volatilisation. En règle générale aussi, on peut dire qu’il faut ajouter successivement de la chaleur à un même corps pour l’amener de l’état solide à l’état liquide, puis à l’état gazeux. La chaleur triomphe ainsi des liens qui enchaînent les molécules ; elle combat ces forces attractives qui se manifestent au sein des corps, et qui conservent jusqu’ici pour nous un aspect si mystérieux. À travers l’antagonisme qui se manifeste entre la chaleur et les forces attractives, a-t-on pu isoler le mouvement calorifique, le dégager des phénomènes qui le masquent, en déterminer le mode spécial et les lois ? Hélas ! non, pas encore. On peut dire cependant que l’étude des gaz a jeté sur cette question de vives clartés.

Comment faut-il concevoir l’état gazeux ? Il est d’abord caractérisé par un espacement considérable des molécules. Ces molécules, animées d’une grande vitesse de projection, viennent tour à tour se heurter les unes contre les autres, ou contre les limites de l’espace qui les contient. N’ont-elles qu’un mouvement de projection ? Elles ont aussi nécessairement un mouvement rotatoire, car si ce mouvement n’existait pas à un moment donné, il ne pourrait manquer d’être engendré par les collisions incessantes des diverses molécules : les chocs excentriques, ceux qui ne passent pas par les centres de gravité, sont en effet de nature à produire une rotation. La rotation concourt avec l’élasticité à faire rebondir les molécules les unes contre les autres ; elle pourrait même produire seule cet effet, si les molécules, au lieu d’être composées, n’étaient que de simples atomes. Une sorte d’état moyen, de régime commun, s’établit ainsi dans le gaz ; si le mouvement faiblissait sur quelque point, il y serait tout de suite renforcé par le reste de la masse agitée. Chaque molécule rebondit d’ailleurs sans direction fixe, peut aller dans tous les sens, être projetée successivement dans toutes les parties de la masse entière. C’est un état de liberté complet. Remarquons que les distances moléculaires sont considérables, considérables aussi les vitesses. Que devient dès lors cet effet qui doit se produire au moment où deux molécules sont rapprochées pour se choquer, cet effet qu’on attribue aux forces attractives, quelles qu’elles soient ? Cet effet s’annule pour ainsi dire : il ne dure qu’un temps relativement très court, puisque ces distances moléculaires sont très grandes ; il n’a qu’une action très effacée, puisque les vitesses sont énormes ; il devient si faible qu’on peut le négliger. Ainsi dans les gaz les forces attractives n’ont