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profite à aucune classe de citoyens ; ses habitudes, ses mœurs, son aspect, sont l’objet d’un extrême dégoût. Bref ils sont établis chez nous comme des hordes dont la visite est pire que ne le fut celle des sauterelles en Égypte. Ils épuisent nos placers au détriment des citoyens américains ou de ceux qui peuvent devenir tels. Les impôts perçus sur eux ne sont d’aucune considération, comparés au mal que cause la présence de ces êtres à demi barbares. Il faut donc s’opposer par des lois rigoureuses à leur immigration ultérieure, et il faut chasser de nos terres ceux qui s’y sont introduits. C’est à nous en un mot d’agir par tous les moyens constitutionnels pour amoindrir le mal incalculable qui résulte de leur présence. Le peuple réclame de nous ce résultat. Si nous manquions au devoir que nous impose un sentiment de répulsion générale, nous aurions à redouter de voir la population agir par elle-même pour se débarrasser directement des Chinois. La Californie est une terre destinée à la race blanche ; nous ne devons point y laisser pénétrer les races inférieures. » C’était la fable du loup et de l’agneau dans toute sa crudité ; mais le bon droit l’emporta, comme nous l’avons dit, et l’émigration que l’on avait voulu couper dans sa racine suivit si bien son cours qu’aujourd’hui l’on ne compte pas moins de 50,000 Chinois en Californie, dont 6,000 à San-Francisco. Une particularité de cette population, que nous ne retrouverons dans aucun autre des centres dont on va parler, est que les femmes, ailleurs absentes, figurent ici dans une proportion inusitée. J’en vis ainsi 200 débarquer en 1854, dans un convoi de 780 émigrans. Malheureusement l’industrie de la plupart d’entre elles n’est pas de celles qui peuvent être citées.

Attiré en Australie par la découverte des mines de Victoria, le Chinois n’y trouva pas un meilleur accueil qu’en Californie. L’hospitalité anglo-saxonne n’existait pas pour lui. Il travaillait à meilleur prix que l’Européen ; ce fut assez pour le rendre importun, et la législature de la colonie, aussi peu libérale et non moins inhumaine que celle de San-Francisco, n’eut pas honte de se faire l’écho des passions populaires au point de ne permettre l’introduction de ces émigrans sur les navires qu’à raison d’un pour dix tonneaux de chargement. De plus tout Chinois débarquant fut frappé d’un impôt immédiat de 250 francs, et, comme si ce n’était pas assez de cet énorme droit primitif sur l’importation de travailleurs jugés des concurrens trop redoutables, on y ajouta une seconde taxe périodique de 12 francs 50 centimes par mois, étrange conclusion tirée par les colons des belles leçons économiques données au monde par la Grande-Bretagne. Les Chinois alors, au lieu de débarquer sur le territoire de Victoria, abordèrent au port Robe ou à celui