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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/405

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comme Ruth la Moabite chez le riche Booz ; mais peut-être, en s’opposant ainsi aux progrès de cette immigration en Californie comme en Australie, l’Anglo-Saxon n’a-t-il fait qu’obéir instinctivement et à son insu à quelque mystérieux décret de la Providence. Au contact d’une race supérieure, le Chinois eût été fatalement condamné à rester sans espoir au bas de l’échelle ; son concours d’ailleurs était inutile à l’accroissement d’une population qui sextuplait en six ans, et qui compte aujourd’hui 1,800,000 âmes. Tout lui conseillait donc de diriger le courant de son expatriation vers des rives moins inhospitalières. Aussi l’importance numérique de cet élément est-elle restée stationnaire en Australie dans ces dernières années, si même elle n’est entrée dans une phase décroissante.

Il faut se rapprocher de l’équateur pour rencontrer l’émigrant chinois dans le milieu qui convient le mieux à sa nature. Manille, Java, Bornéo, Singapore, Bangkok, Saigon, voilà les centres où ses aptitudes trouvent un libre développement et où l’on peut le mieux apprécier son rôle dans l’économie des divers systèmes de colonisation européenne. Disons tout d’abord que cette revue nous montrera son histoire à peu de chose près la même dans ces pays divers. Partout il sera en butte à une hostilité qui se traduira en proscriptions, qui parfois même ira jusqu’au massacre, mais dont sa patience et sa ténacité d’insecte finiront toujours par triompher ; partout aussi on lui reprochera le procédé de succion absorbante, si je puis m’exprimer ainsi, par lequel il s’étudie à pomper la richesse du pays. Cette accusation n’est pas entièrement imméritée, et elle emprunte à coup sûr une grande force au fait d’avoir été reproduite sur tant de points par des personnes différentes en termes à peu près identiques. Je la crois néanmoins exagérée, en opposition avec l’esprit de progrès, en opposition même avec l’intérêt bien entendu des colons, et c’est ce qui semble devoir ressortir de notre examen. L’ordre des dates nous montre d’abord les Chinois à Bornéo, où l’on possède peu de détails sur leur établissement. Marco-Polo le signale au XIIIe siècle, et lors de la découverte, en 1521, les Espagnols furent frappés du grand nombre de ces émigrans dans le royaume malais de Bruni, comme le furent aussi les Hollandais à leurs apparitions intermittentes dans l’île. Bien plus tard, en 1823, quand ces derniers tournèrent de nouveau leurs vues vers l’exploitation longtemps abandonnée de Pontiana, sur la côte ouest, ils y trouvèrent un courant annuel de 3,000 Chinois amenés par le renom des mines de diamant de la province. Les mines d’antimoine et de fer de Tundong, sur la branche occidentale du Sarawak, sont également entre leurs mains, et aux mines d’or de