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se trouvent en présence dans l’extrême Orient. Seul, il serait impuissant à dissiper les préventions hostiles contre lesquelles il se heurte depuis des siècles ; mais sans lui notre action serait bien plus lente à mordre sur ce monde vieilli où toutes les puissances de l’Europe viennent aujourd’hui planter leur drapeau l’une après l’autre. En rapportant sans cesse en Chine de nouvelles notions des pays où il a émigré, il obéit à son insu au rôle providentiel qui lui a été départi, et ce but serait manqué par une expatriation sans idée de retour. Qu’on relise dans les voyages de l’amiral Jurien de La Gravière le charmant portrait d’Ayo, le comprador de Macao, et l’on verra combien les Chinois de la classe moyenne peuvent profiter de leur séjour à l’étranger, quelle supériorité ils y gagnent et à quel point ils en reviennent meilleurs. C’est ce que ne veulent pas comprendre ceux qui s’obstinent à leur faire un crime de ce retour. Peut-être même n’est-il pas jusqu’à l’absence de l’élément féminin dans cette émigration qui n’ait aussi son avantage, en ce qu’elle amène les Chinois, pour qui la vie de famille est un besoin, à épouser les femmes du pays et à doter de la sorte leur patrie temporaire d’une génération de métis bien préférable à la population indigène ; c’est le cas pour les sangleyes de Manille et pour les minh-huongs de la Cochinchine. Les nations occidentales se doivent à elles-mêmes d’encourager cette tendance en repoussant les préjugés aussi dénués de justice que d’humanité dont nous avons dénoncé les effets à Manille et à Java dans le passé, en Californie et en Australie de nos jours. Nul ne peut savoir ce que l’avenir réserve à la Malaisie, si riche des dons de la nature et si admirablement disposée pour servir de déversoir à l’excédant de population du Céleste-Empire. Quoique la civilisation européenne s’essaie à y pénétrer, elle n’en est encore, à vrai dire, qu’aux tâtonnemens des débuts, car il serait peu équitable de mettre à son compte la longue période de séquestration des Hollandais à Java ou des Espagnols à Manille, et il serait trop triste de penser qu’il n’y eût d’autre solution au problème que dans le travail coercitif des uns ou dans l’indolence systématique des autres ; mais si nos enfans ou ceux qui viendront après eux voient jamais cette partie du monde renaître à de nouvelles destinées grâce à la persistante initiation que leurs pères y auront entreprise, je n’hésite pas à déclarer d’avance qu’au second plan les agens les plus utiles, les plus laborieux et les plus efficaces de cette régénération séculaire auront été les Chinois hors de chez eux.


ED. DU HAILLY.