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Cette distinction essentielle devrait mettre d’accord tous les esprits raisonnables. Accepter loyalement tous les faits découverts par la science positive sans en altérer le caractère, sans en restreindre la vraie portée, c’est notre strict devoir ; mais aussi ne pas souffrir qu’une philosophie de hasard et d’aventure s’empare de quelques faits encore incertains et incomplètement observés ou de quelques autres d’une signification très restreinte, pour les tourner contre nous et en accabler nos doctrines, c’est notre droit aussi, et nous le maintiendrons. On accuse souvent les philosophes de prendre parti dans les querelles qui viennent à s’agiter entre les savans et d’introduire subrepticement la métaphysique dans des questions où elle n’a que faire. S’il y a des philosophes qui ont mêlé des considérations ou des passions de cet ordre à des débats purement scientifiques, ils ont failli à la première règle de la méthode de Descartes. Philosopher hors de propos, troubler de débats intempestifs le domaine où se poursuit l’expérimentation, c’est faire supposer qu’on n’est pas un pur cartésien, c’est-à-dire disposé à n’admettre pour vrai que ce qui paraîtra évidemment tel, c’est faire croire qu’on fuit devant la lumière ; mais de bonne foi qu’on nous accorde que l’exemple a été souvent donné par quelques-uns de ceux-là mêmes qui nous accusent aujourd’hui. Qu’on se rappelle certains débats récens, encore présens à toutes les mémoires. On s’est beaucoup moqué des naïfs de la métaphysique qui se sont imaginé qu’elle était engagée dans la querelle et qui ont voulu y prendre part ; mais est-il bien sûr que quelques savans trop impatiens n’avaient pas engagé le débat sur ce terrain maladroitement choisi ? N’était-ce pas encore mêler la métaphysique aux problèmes scientifiques, que de tirer des conclusions contre elle d’expériences plus ou moins exactes, plus ou moins bien comprises, plus ou moins fidèlement interprétées ? N’avons-nous pas entendu dans les deux camps plus d’un cri de joie indiscret ? Des deux parts cela est souverainement regrettable. Il ne faut pas qu’on puisse dire que nous avons peur des faits. Étudions-les sincèrement sans trop nous presser de leur imposer un sens métaphysique, sans les tirer violemment à nous du côté de nos doctrines. Laissons-les s’amasser avec ordre et s’organiser silencieusement dans l’ombre du laboratoire. N’essayons pas de leur faire dire plus qu’ils ne signifient, et surtout sachons bien reconnaître les grands services que la science positive rend à l’esprit humain en le débarrassant d’une foule d’hypothèses et de préjugés, et à la philosophie en lui ouvrant des perspectives nouvelles, chaque jour agrandies, sur la nature.

Si le philosophe ne doit pas intervenir indiscrètement dans les recherches du laboratoire pour les diriger ou les plier à son gré, il ne permettra pas non plus à la science positive de venir