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d’existence pour les faits de cet ordre, faits intellectuels ou moraux. Ces conditions d’existence sont prises dans l’ordre des phénomènes vitaux qui dépendent eux-mêmes des phénomènes physico-chimiques ; mais le rapport entre ces conditions d’existence et le phénomène intellectuel ou moral n’est plus déterminable avec rigueur, avec précision. Ici le réseau de fer se relâche et laisse passer entre ses mailles distendues des influences d’un tout autre ordre ; les conditions physiques se combinent avec des conditions nouvelles qui déconcertent entièrement par leur combinaison les règles infaillibles du calcul. Déjà nous avons montré le déterminisme physiologique hésitant sur la question de la vie, les nobles incertitudes qui arrêtent sa marche sur ce point pour ainsi dire réservé, et même son retour, par des pentes secrètes, vers une doctrine qui n’est pas éloignée de la métaphysique. Dans le fait de la pensée, de la liberté morale et du devoir, se révèle de plus en plus l’affranchissement du principe immatériel de la spontanéité, auquel commence une région nouvelle de l’expérience, un ordre nouveau de faits observables, mais non sensibles, le monde moral, qui est comme une autre nature dans la nature, liée à la première par des rapports, mais non plus par des rapports de nécessité. La suite infaillible des phénomènes s’interrompt ici, les influences physiques rencontrent à cette limite une influence nouvelle, qui vient du fond de l’être lui-même, et qui, en se combinant avec les premières, arrête complètement les calculs de la science positive. L’œuvre propre du philosophe commence. Sans dédaigner aucun moyen de recherche, en rendant compte de tous les résultats que lui livre la science positive dans les régions de l’expérience sensible, il essaie d’aller plus loin qu’elle ne va elle-même. Il étudie expérimentalement aussi, quoique avec des procédés moins rigoureux et des instrumens moins précis, cette partie de la réalité qu’il porte en lui-même, cette portion de la nature qui est sa conscience, son âme ; il recueille avec soin les clartés intérieures de sa pensée ; il interroge les idées dont l’ensemble constitue sa raison, et qui, bien que formées à l’occasion de l’expérience, n’en sont point issues, puisqu’elles la dirigent, la soutiennent à chacun de ses pas, la jugent en dernier ressort. Avec la liberté, le monde moral commence et se déploie à ses yeux, et déjà, sur cette limite supérieure de l’expérience, le philosophe arrive, par d’irrésistibles inductions, à concevoir que cet ordre nouveau qui comprend tous les phénomènes supérieurs de la vie humaine, la responsabilité, la liberté, la dignité, ne peut pas être le produit des règnes inférieurs. L’idée de la spiritualité s’élève en lui et se confirme de plus en plus. C’est même le résultat le plus précieux de ses études. Il voit de l’œil de l’âme des réalités que l’œil de la chair n’aperçoit pas. Il s’assure de