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Leibnitz la reconnaissait déjà dans les phénomènes les plus simples et les plus élémentaires de la mécanique ; mais elle apparaît de plus en plus clairement à mesure que l’on se rapproche des phénomènes supérieurs ; elle éclate par de brusques coupures au milieu du plan suivi de la nécessité physique dans la manifestation soudaine de la vie et de la pensée, irréductibles à des conditions définies, inexplicables sans la finalité. La métaphysique donnera toute leur valeur d’interprétation à ces marques de dessein visiblement empreintes dans quelques régions de l’expérience, et dont l’évidente analogie s’impose à nous avec une telle force qu’elle a été une cause de division parmi les positivistes, quelques-uns inclinant à l’admettre malgré la rigueur du système. — Elle rétablira dans tous ses droits l’idée de la finalité, qu’il ne faut pas proscrire de la raison parce qu’elle a souvent égaré la science, et qui, acceptée, réglée dans sa vraie mesure, mérite mieux que la déférence légèrement ironique de Kant, je veux dire l’honneur et le respect dus à l’une des formes les plus manifestes de la vérité. C’est en effet le prodige de la nature que ces deux conceptions, opposées, mais non contradictoires, du déterminisme et de la finalité soient réunies et comme mêlées dans la trame de l’univers, que la série des causes finales se développe à travers le monde concurremment et parallèlement avec la série des causes efficientes, enfin que la mécanique et la géométrie révélées dans la suite des phénomènes, des mouvemens et des figures matérielles réalisent par des lois d’une simplicité absolue un ordre tel que l’interprétation complète de ses effets dépasse la portée des plus hautes intelligences, et que ce soit la marque la plus assurée du génie de déchiffrer quelques syllabes de l’énigme immense. — Dans le centre des choses devenu visible au regard du philosophe, le principe de l’ordre commence à se révéler. Qu’est-il donc en soi, ce principe qui se manifeste à la fois comme géométrie et finalité, nécessité et raison, géométrie dans ses moyens et finalité dans ses résultats, nécessité dans les lois qu’il emploie, raison par les effets qu’il réalise, loi suprême de l’ordre mathématique comme de l’ordre moral, vraiment raison des choses, puisqu’il est la dernière explication de tout ? Plus le philosophe étudie profondément ce monde et dans les idées que la science positive lui en révèle et du point de vue d’où la métaphysique le lui montre, plus il se refuse à croire que ce monde soit l’œuvre du mécanisme aveugle, et qu’une suite déroulée à l’infini de mouvemens matériels ait pu produire cet univers, pénétré de pensée jusque dans ses dernières profondeurs. En se donnant le grand spectacle des forces et des formes, il en saisit les relations réciproques et les harmonies, la vivante synthèse, non pas à la manière poétique et superficielle de