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témoignez ; il me donne mille attaques en riant de l’attachement que j’ai pour vous… » Mme de Grignan est bien rigoureuse quelquefois pour cet aimable frère si bien assaisonné de temps à autre par ses maîtresses, mais ayant en somme toujours de l’honneur ; elle l’accuse presque de bas sentimens lorsque, fatigué de traîner dans sa charge de guidon sans pouvoir monter plus haut, il veut quitter le harnais et se sent pris de l’amour de la Bretagne. Mme de Sévigné entre un peu dans les sévérités de sa fille, elle revient bientôt, et elle finit par comprendre ou avoir l’air de comprendre les raisons du frater, ses lassitudes du guidonnage, son goût breton. Ce goût breton lui-même n’est point un obstacle entre eux ; il est plutôt un lien. C’est là, aux Rochers, en effet, que l’intimité est la plus étroite et la plus douce. C’est là que, pendant la douloureuse maladie de 1675, Charles de Sévigné entoure sa mère de ces soins dont elle parle à sa fille : « Le frater m’a été d’une consolation que je ne vous puis exprimer, il se connaît joliment en fièvre et en santé. J’avais confiance en tout ce qu’il me disait ; il avait pitié de toutes mes douleurs… » C’est là qu’elle aussi à son tour, en 1680, elle soigne Charles de Sévigné pour des blessures qui ne viennent pas précisément de la bataille de Senef. C’est là enfin qu’un peu plus tard, à l’époque du mariage de ce fils en pleine Bretagne, elle se retrouve de nouveau, un peu dépaysée d’abord, tout près de devenir mordante, auprès d’une bru, puis bientôt gagnée par la bonne grâce et goûtant toujours cette intimité des Rochers, où les seuls orages sont une lettre de Provence en retard, une mauvaise nouvelle de Mme de Grignan.

La dernière fois que Mme de Sévigné va aux Rochers et goûte encore le charme âpre et doux de cette solitude * c’est en 1689 et 1690. Elle y reste dix-sept mois. Depuis le jour où pour la première fois elle était arrivée, souriante et heureuse » en Bretagne, que d’années s’étaient écoulées ! Et dans cet intervalle que d’événemens, que de préoccupations, que de scènes toujours nouvelles, que d’agitations de cœur dont ces bois eux-mêmes avaient été les témoins et dont ils pouvaient garder le secret ! Maintenant, en 1689, ce n’est plus la riante animation de la jeunesse, ni même la gaîté libre d’une facile maturité. Mme de Sévigné est arrivée à ce point où on commence à sentir l’âge non-seulement en soi-même, mais encore dans les vides qui se font autour de vous, dans la transformation de tout ce qui vous entoure. Ceux qu’on aimait s’en vont. L’abbé de Coulanges n’est plus. Il y a longtemps que M. de Turenne a été emporté par son boulet, ce terrible boulet « chargé de toute éternité. » Le cardinal de Retz a disparu. M. de Larochefoucauld est mort et sera bientôt suivi de Mme de La Fayette. Fouquet s’est éteint dans sa prison ; d’Harouys, le trésorier de Bretagne, est à la