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Echevelé, perdu, honni,
C’est le bouffon de l’infini ;
On en rit là-haut, dans l’espace.
Le hasard qui l’a fait cela
Ne sait plus même qu’il est là.
On se le passe et le repasse.

Les autres arbres sont heureux :
Ils peuvent chuchoter entre eux
Et dire les secrets de l’ombre,
Ils ont le nid, fleur du baiser ;
Lui, n’a pas d’oiseau pour causer,
Il est tout seul, ce lutteur sombre.

Jamais ni jeu ni passe-temps !
A peine s’il voit par instans
Dans la brume, nuit sans étoiles,
Passer les voiles sur la mer,
Ou bien les goélands dans l’air,
D’une autre mer ces autres voiles.

Le doux printemps où Dieu sourit,
L’été clair où le ciel fleurit,
L’automne où la terre ingénue,
Dans un remords éblouissant,
Devient toute rouge en pensant
Que l’hiver elle sera nue,

Il n’a ni trêve ni repos ;
La bise fait craquer ses os
L’hiver aussi bien que l’automne ;
Et le printemps comme l’été,
Il poursuit dans l’éternité
Sa lutte folle et monotone.

Il est là, le vieux combattant,
Toujours debout, toujours luttant ;
On le martyrise, on l’assomme.
Il est toujours là malgré tout,
Toujours luttant, toujours debout….
Ah ! ce chêne ! on dirait un homme !


EDOUARD PAILLERON.