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sans doute la Juliette, dont il faudra bien aussi régler le compte. Qui fera Juliette ? Difficile de supposer que ce puisse être Mme Carvalho. Juliette a quatorze ans, ne l’oublions pas : fourteen corne Lammas eve. Et plus on aura recherché pour Roméo des conditions de jeunesse, plus il sera nécessaire, indispensable, de bien surveiller l’âge et la tournure de Juliette. Fraîcheur de voix, sveltesse, grâce et distinction, où vous trouver ? et quels nouveaux dédits faudra-t-il donc payer pour vous avoir ?

En attendant, l’Opéra-Comique menaçait de se fâcher, et il n’avait point tort. Les théâtres que l’état subventionne sont faits pour se respecter entre eux davantage. C’est se rendre mutuellement la vie impossible que d’aller ainsi à tout bout de champ ravager la troupe du voisin. Molester les autres sans profit pour soi-même est un procédé qui ne mérite point d’être encouragé par les gouvernemens. Quand le directeur du Théâtre-Lyrique aura payé 40,000 francs pour jouer à l’Opéra-Comique le mauvais tour de lui débaucher un ténor, il n’aura réussi qu’à se mettre sur les bras une charge de plus, qu’à compliquer une situation qu’il faudrait au contraire simplifier. Rendre la besogne d’un confrère plus difficile pour un moment n’est point s’enrichir. Qui profite pour un jour de ces extravagantes surenchères, sinon les virtuoses, dont ceux même qui les ont provoquées par leurs manœuvres accuseront plus tard les prétentions d’être insensées ? Il y a évidemment là, pour l’administration supérieure, un devoir à remplir. Les théâtres impériaux, en tant que subventionnés par l’état, se doivent les uns aux autres des égards et des ménagemens dont les entreprises particulières peuvent, en ce qui les concerne, ne pas reconnaître l’absolue nécessité. Ce qu’apparemment l’état veut, c’est de voir prospérer les théâtres qu’il soutient de son argent. Rien de plus préjudiciable à la fortune d’une spéculation que cette mise à l’encan d’un chanteur avant l’expiration de son engagement. Ainsi leurré par les promesses du dehors, le chanteur prend en dégoût le foyer de son théâtre, affecte de s’y montrer insupportable, et, voulant rompre, fait mauvais service. Il ne sied pas que de tels abus à chaque instant se renouvellent, qu’on intervienne en perturbateur dans ces affaires d’intérieur et ces combinaisons de répertoire, qui doivent être murées comme la vie privée. Voyons-nous que nos deux premières scènes lyriques en usent de la sorte vis-à-vis l’une de l’autre ? L’Opéra, depuis plusieurs mois, n’aurait eu qu’un signe à faire pour attirer à soi M. Capoul. S’il s’en était abstenu jusqu’ici, c’était purement par discrétion et savoir-vivre. Seulement après la discorde survenue, mais alors seulement, quelques relations furent ébauchées. M. Verdi, qui, en sa qualité de maestro dont l’ouvrage se répète, doit avoir naturellement l’œil et l’oreille à tout ce qui se passe et qui se chante autour de lui, — l’auteur de don Carlos, étant allé entendre à l’Opéra-Comique le jeune ténor, objet de ces querelles, était sorti charmé. Il voulut l’entendre en particulier et savoir ce que valait dans la force et la passion cette voix aimable, douce, attrayante, et qui, dans l’andante de l’air de Joseph, déploie un si vrai