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de virilité. Le temps n’est plus où Sparte s’enorgueillissait de son désintéressement et de sa monnaie de fer. Une nation qui, comme la Grande-Bretagne, dépend de la navigation et du commerce pour les élémens de son industrie, a besoin d’argent. Il lui en faut pour aviver la source des travaux utiles, répandre l’instruction dans les classes ouvrières et réduire les causes du paupérisme. Il est néanmoins bon d’avertir les Anglais que. ce développement de la richesse n’est point le seul thermomètre de la grandeur nationale. Le rang d’une société sur l’échelle de la civilisation moderne ne saurait se mesurer uniquement à la quantité de tonnes qu’elle exporte. A la vue de l’encombrement des docks, au milieu de ces balles de coton sur lesquelles trône mollement assis le génie de la spéculation et des affaires, on n’a certes point lieu de redouter pour l’Angleterre le déclin de ses ressources. Il faut craindre au contraire qu’elle ne prospère trop, c’est-à-dire qu’au milieu d’une opulence commerciale sans exemple dans le monde, elle ne perde de vue les intérêts de l’esprit pour ceux de la matière. La véritable force d’une nation est dans la protection éclairée qu’elle accorde à toutes les causes généreuses. Que la Grande-Bretagne consulte son histoire, et elle se dira elle-même que, dans des temps où ses finances étaient beaucoup moins abondantes, elle tenait peut-être une plus grande place dans les conseils de l’Europe. Le sentiment de complaisance que lui inspire l’état présent de ses affaires ne serait-il point la cause de cette inaction ? Le repos dans le bien-être n’est-il point l’écueil de tous les peuples commerçans? Et pourtant c’est en vain qu’on cherche la paix dans l’égoïsme. Chez les nations comme chez les individus, le jour vient où l’esprit se venge des triomphes excessifs de la matière. On peut médire des idées, les étouffer un instant sous l’effervescence des intérêts pécuniaires; elles n’en fermentent pas moins au fond des sociétés. La Grande-Bretagne commence bien à s’en apercevoir, agitée et troublée qu’elle est dans ce moment-ci par la revendication de certains droits politiques. Et d’où lui vient ce cri de guerre? De la part de ces mêmes classes de travailleurs qui ont tant contribué sur terre et sur mer à la production des richesses. Dans un état libre, le sentiment de la dignité humaine croît avec le développement de la navigation et de l’industrie.


ALPHONSE ESQUIROS.