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de Vannes en lui remettant la lettre du conseiller d’état; le premier consul est irrité à ce point que personne n’a le courage de lui rien proposer qui diffère tant soit peu de ce qu’il a cru devoir adopter. » Tous les évêques allaient donc, ajouta-t-il, devenir les victimes de la volonté du gouvernement, et, si bonnes et droites que pussent être leurs intentions, ils ne pourraient plus faire aucun bien, parce qu’ils seraient contrecarrés dans toutes leurs actions par le pouvoir lui-même. « Quant à ce qui se disait du légat, de la légation et de Rome en général, le messager de M. Portalis n’osait prendre sur lui de le répéter, parce qu’il se sentait frémir rien qu’en y pensant[1]. »

Le cardinal Caprara, quoique déjà un peu agité, soutint assez fermement ce premier assaut. Objectant toujours les raisons de conscience qui lui interdisaient une autre conduite, il remit à l’évêque de Vannes une réponse qui maintenait avec de grands ménagemens ce qu’il avait dit au premier consul. Ce fut alors au tour de M. de Talleyrand de se produire. Dès le soir même, il se rendit en visite chez le légat. Jamais le ministre des relations extérieures de la république n’avait revêtu un air plus solennel, et ce fut du ton le plus pathétique que, s’adressant au cardinal, il lui dit : « Je viens vers vous pour vous déclarer que nous sommes au moment de voir perdre tous les soins employés au rétablissement de la religion. Ni le premier consul, ni aucun des membres du gouvernement ne veulent admettre qu’on exige des prêtres constitutionnels ce que votre éminence en a exigé jusqu’à présent, et ce qu’elle a suggéré aux évêques d’en exiger. Si les évêques le tentent, il en résultera des malheurs sans fin. Les populations sont soulevées à ce sujet. Les catholiques, dégoûtés de la dureté avec laquelle la cour de Rome entend traiter les prêtres, demandent à passer au protestantisme, où ils trouvent, disent-ils, la charité, qu’ils ne rencontrent plus dans le catholicisme. En un mot, tout sera mis à feu et à flamme, et c’est Rome, c’est votre éminence qui seront cause de la ruine de la religion, parce que dans des circonstances aussi douloureuses vous n’aurez pas voulu condescendre à des conditions de conciliation[2]. » A ces pressantes objurgations de l’ancien évêque d’Autun, le cardinal Caprara répondit avec assez d’à-propos et de fermeté : « Monsieur, le bienfait de l’unité et de la paix me tiennent à cœur autant qu’à qui que ce soit; mais je ne puis le procurer que par des voies qui ne blessent pas ma conscience et ne me rendent point prévaricateur. » — « Vous êtes maintenant averti des dispositions du pre-

  1. Le cardinal Caprara au cardinal Consalvi, 13 juin.
  2. Ibid., 13 juin 1802.