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société combattant pour elle avec une si longue persévérance et employant pour la défendre la parole sous tant de formes variées. Elle n’a point d’armes entre les mains, ou du moins elle n’en a presque plus, et elle a certainement renoncé à s’en servir, tant celles qui peuvent lui rester encore sont surannées et hors de service. La parole avec son accent impérieux ou pénétrant, caressant ou terrible, avec ses insinuations oratoires, ses mœurs, comme on disait autrefois, ses argumens, ses preuves, ses sophismes même et ses réticences, voilà de quel instrument elle se sert pour lutter contre son adversaire ou pour gagner des défenseurs à sa cause. Cette arme, qu’elle manie et qu’elle perfectionne depuis dix-huit cents ans, est la plus forte qui puisse être à l’usage de l’homme; c’est l’arme humaine par excellence, c’est la seule arme humaine, parce qu’elle n’exige ni grandes dépenses pour être forgée, ni remaniemens coûteux, ni matière extérieure, et que, transportée sans fatigue et invisible partout où va celui qui la possède, elle atteint l’homme au cœur même et lui fait une blessure incurable et contagieuse. La puissance qu’elle a pour blesser et pour tuer, elle l’a aussi pour guérir et pour ramener à la vie. Il y a dans l’église une éloquence à voix basse qui ne parle qu’à la personne dans le secret et le silence, et qui n’est ni moins persuasive ni moins active que la grande éloquence publique de la chaire. C’est là surtout qu’elle touche les cœurs et convainc les esprits. Se faisant toute à tous et variant les accens de sa voix suivant les âges, le sexe et la condition physique ou morale des personnes, elle attire à elle ou se prépare dès l’enfance de nouveaux défenseurs, et souvent elle fait tomber les armes des mains de ceux qui se croyaient menacés par elle. Toutes les fois que depuis Constantin son pouvoir temporel a paru chanceler, l’église s’est attachée à prouver qu’elle ne menace personne, et que c’est elle au contraire qui est menacée, victime ou martyre de pouvoirs impies; elle a montré ses bras désarmés, ses vêtemens en lambeaux, son avoir usurpé par des voisins criminels, et par-dessus tout sa liberté enchaînée. Elle eût renoncé à tous les biens de ce monde, si seulement la liberté lui eût été assurée, affirmant que sans la liberté elle ne peut vivre, que la religion ne peut durer si elle n’est indépendante, et que par la perte de la religion tout est perdu.

Il est certain qu’un changement dans la religion entraîne des changemens correspondans dans toutes les parties de la société. Il ne l’est pas moins qu’une religion privée d’indépendance est le pire de tous les esclavages, et que l’homme ne s’y soustrait qu’en renonçant à sa religion : il faut toutefois l’entendre d’une certaine manière. Quand le christianisme naissant était opprimé dans Rome, le