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l’isolement, sans aucun rapport avec les habitans de la côte. Ce seraient, d’après les relations des voyageurs, les autochthones de cette grande terre, tandis que les tribus dont il vient d’être question n’y auraient été amenées qu’à une époque relativement moderne. Rien n’est plus obscur que la filiation des peuples qui n’ont ni monumens, ni histoire écrite ou traditionnelle. En ce qui concerne les Malais, peuple mahométan, on ne peut guère douter qu’ils ne soient issus de la même souche que ceux de Sumatra et de la péninsule de Malacca. Les Dyaks, qui n’ont en apparence aucune religion ou conservent tout au plus quelques traces du bouddhisme, auraient envahi Bornéo à une époque plus reculée. Les ethnologues ont cru retrouver les vestiges d’une grande émigration dont le point de départ eût été Sumatra et le point extrême la Nouvelle-Zélande, en passant par les îles intermédiaires de Java, Bornéo et Célèbes. Ils fondent cette opinion sur des analogies de langage, de mœurs et de costume qu’il est facile de discerner entre les habitans de toutes ces contrées, bien qu’il n’y ait plus aujourd’hui de relations entre eux; mais, en admettant que cette conjecture soit conforme à la vérité, on se demande si Sumatra fut bien le point de départ de cette migration. Les moussons qui soufflent avec régularité dans ces parages pendant l’année entière ont favorisé de tout temps le déplacement des peuplades errantes. D’autre part, la région moyenne de l’Asie semble avoir contenu autrefois, comme aujourd’hui encore, une population exubérante que l’instinct entraînait vers les contrées plus chaudes de la Malaisie. Il est donc possible que certaines peuplades de la zone équatoriale soient venues du nord. On est d’autant plus disposé à l’admettre que les habitans actuels de Bornéo ont une physionomie du type tartare. Ne raconte-t-on pas que les flottes de Gengis khan ont ravagé jadis les côtes de cette île? Les Dyaks sont bien, comme les Tartares, incapables de rien créer, de rien fonder, et de s’élever au-dessus des premiers rudimens de la civilisation. Ils répugnent au travail, sont cruels, et néanmoins se laissent asservir sans résistance.

Au reste, jusqu’à ces derniers temps, la barbarie régnait aussi bien sur mer que sur terre, et ce n’étaient pas seulement les habitans du littoral de la grande île qui rançonnaient les villages des tribus paisibles. Il existe au nord-est de Bornéo un groupe de petites îles connu sous le nom d’archipel de Solo. De là partaient chaque année des flottilles de forbans qui descendaient vers le sud, sur les côtes de la résidence de Bandjermassin, avec la mousson d’hiver, s’arrêtaient dans les parages où le butin était abondant, et revenaient à leur point de départ avec la mousson d’été, en passant devant Pontianak et Sarawak, après avoir fait d’orient en occident le tour en-