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comme lieux de relâche et comme entrepôts du commerce de l’archipel.

L’une des conséquences les plus importantes qu’ait produites le gouvernement libéral du rajah de Sarawak a été d’amener en cette contrée un grand nombre de Chinois. On ne pouvait espérer que les Européens émigreraient en masse vers les rivages de Bornéo ; de même que dans la péninsule de Malacca, ils ne sauraient s’y faire une large place. Ce n’est pas toutefois que le climat leur soit précisément funeste : sauf l’altération lente et progressive du foie qu’engendre toujours un séjour prolongé entre les tropiques, aucune maladie spéciale ne les y affecte. Ils ne sont pas plus sujets que les Malais eux-mêmes aux fièvres des jungles, fièvres qui d’ailleurs sont rarement mortelles. Sir James Brooke a perdu plusieurs de ses compagnons dans les guerres contre les Dyaks, mais peu d’entre eux ont été victimes du climat. On peut dire seulement que les hommes blancs ne sont pas là dans les conditions hygiéniques qui rendent la vie longue et féconde. La vraie cause qui les en éloigne est qu’il leur est impossible, de même que dans le reste de l’archipel, de lutter pour les travaux agricoles avec les hommes de race jaune. D’un autre côté, les Malais travaillent peu, et les Dyaks ont l’habitude de ne rien faire : chez eux, la culture des terres est abandonnée aux esclaves, qui ne sont autres que des prisonniers de guerre ; l’homme libre vit dans l’oisiveté, et ne sort de sa somnolence que pour marcher en guerre. Les immigrans de l’Inde, Klings ou Bengalis, sont faibles et timides, manquent d’initiative et n’osent s’aventurer loin des villes. Le Chinois au contraire, patient et laborieux, ne recule devant aucune fatigue, et il est surtout bien doué sous le rapport de l’esprit mercantile. Quoique détesté par les autres races, il pénètre partout, accapare tout, culture, commerce et travaux des mines. En tous les lieux où il s’installe, on est sûr de le voir monopoliser tous les moyens d’existence, tous les genres d’industrie.

Leur encours n’est pas sans danger. En 1856, il y avait un grand nombre de ces Asiatiques aux mines de Montrato, à peu de distance de la capitale de Sarawak. Mécontens du gouvernement, qui leur défendait d’empiéter sur les terres cultivées par les tribus voisines, excités par les agens de leurs sociétés secrètes, qui maintiennent un lien intime entre tous les Chinois de l’archipel, encouragés aussi, dit-on, par la guerre infructueuse que l’Angleterre venait de faire à l’empereur de la Chine, ils conçurent le projet de renverser sir James Brooke afin d’établir à sa place une autorité de leur choix. Ils se réunirent pour marcher sur Kuching, s’emparèrent sans trop de peine de l’arsenal et de la forteresse, qui étaient presque sans défenseurs,