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but par une combinaison qui, en maintenant le pape maître chez lui, abaisserait les barrières qui séparent aujourd’hui ses états du reste de l’Italie. Pour qu’il soit maître chez lui, l’indépendance doit lui être assurée, et son pouvoir accepté librement par ses sujets… » Ils oublient cette autre parole d’un ministre des affaires étrangères, que « si la France peut aider à vivre le pouvoir temporel du saint-siège, elle ne peut empêcher son suicide, » et les explications incessantes de notre diplomatie, qui, en excluant la force matérielle et les moyens révolutionnaires du règlement définitif de la question romaine, a toujours admis ce qu’on a appelé les forces de la civilisation et du progrès, « la persuasion, l’esprit de conciliation, l’influence des intérêts moraux et matériels, enfin l’effet du temps… » Au fond, la situation, telle qu’elle apparaît aujourd’hui, dégagée de tous les subterfuges et de toutes les obscurités, cette situation, au point de vue des affaires de Rome, est simple, tragiquement simple, dirai-je. L’Italie reste avec l’engagement qu’elle a pris de respecter, de faire respecter matériellement le territoire pontifical actuel, mais avec cette puissance de fascination d’une nationalité rajeunie, avec cette force d’attraction d’une masse compacte de vingt-quatre millions d’homme vivant dans l’indépendance et la liberté, tourbillonnant autour d’une frontière insaisissable. Le saint-siège reste, avec ses finances un peu allégées par le partage de la dette pontificale, sous la sauvegarde de la petite armée qu’il s’est faite ou qu’on lui a faite, indépendant toujours, mais diminué, circonscrit, réduit dans tous ses moyens d’action, — et la France se retire, inscrivant le principe de non-intervention au-dessus de ce tête-à-tête de la papauté et de l’Italie. Voilà la situation : qu’arrivera-t-il ?

La question n’est donc plus de laisser dans la politique cette illusion, cette fiction du pouvoir temporel ou du moins ce qui a été jusqu’ici représenté par ce mot. La vraie et sérieuse question aujourd’hui est de savoir ce qui va sortir de cette grande expérience qui s’ouvre au moment où le drapeau de la France cesse de flotter sur le château Saint-Ange, et comment ce qui sortira de ce tête-à-tête de la vieille papauté et de l’Italie nouvelle pourra se combiner avec les nécessités d’indépendance, de souveraineté, de liberté, inhérentes à une puissance-spirituelle qui s’étend sur la catholicité tout entière. Si cette expérience s’était ouverte il y a six ans sous le coup de déchiremens à peine accomplis, dans le premier frémissement des passions, au milieu des fiévreuses impatiences des uns et des résistances irritées des autres, que serait-elle devenue ? Cavour seul alors était capable de la tenter et de la conduire avec son allègre fécondité de conception et d’action. Au moment de disparaître de la scène, il en était déjà, on le sait, à dé-