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convictions de toute sa vie. M. Harlan, ministre de l’intérieur, imita bientôt son exemple; on parlait de M. Stanton, ministre de la guerre, et de l’attorney-general Speed comme devant prochainement les suivre dans la retraite. Le parti radical vit dans cette désorganisation du cabinet une débandade, et il en conçut soudain une confiance exagérée. Il venait de voter un nouveau bill du bureau des affranchis. Le président y répondit, selon son usage, par un veto qui fut traité avec un souverain mépris. C’est à peine si le message qui développait ses motifs put être lu dans l’assemblée au milieu des murmures et des huées. Le bill fut voté séance tenante, dans le sénat par 33 voix contre 12, dans la chambre par 164 voix contre 33. On n’aurait pas reconnu ce même congrès timide que le veto du président décidait, au printemps dernier, à retirer à cette même mesure une majorité déjà acquise. Jamais congrès américain, à la veille d’affronter une élection populaire, n’avait osé lancer un pareil défi au premier magistrat de la république.


III.

L’attitude hardie des radicaux tenait moins encore à la certitude du succès qu’au sentiment de la justice de leur cause. Ils en étaient venus peu à peu jusqu’à ce degré de concession extrême au-delà duquel on ne peut plus reculer sans s’affaiblir. Abandonnant toutes les prétentions exagérées de la première heure, ils ne réclamaient plus à présent que l’exécution sérieuse du plan de restauration conçu l’année dernière par le président. Il n’y avait pas une ligne de leur amendement qui ne pût être appuyée sur les propres paroles de leur adversaire. M. Johnson avait la mémoire trop courte. Il ne se souvenait plus qu’autrefois à Baltimore, acceptant la nomination à la vice-présidence que lui offrait la convention républicaine, il s’était rué en avant pour déclarer que les états rebelles devaient être complètement refondus, que la confiscation devait être mise en vigueur, et qu’il fallait exclure les rebelles de l’œuvre de la reconstruction. « Le gouvernement, disait-il, doit être fixé sur les principes de l’éternelle justice. Si l’homme qui a travaillé à détruire le gouvernement de son pays était admis à concourir au grand œuvre de la réorganisation nationale, alors tant de sang précieux aurait été inutilement répandu, et toutes nos victoires seraient réduites à néant. » Puis il s’écriait que « les grandes plantations devaient être saisies et morcelées, » que « les traîtres ne devaient occuper que les dernières places dans l’œuvre de la restauration. » Plus tard, quand il se fut un peu adouci et qu’il s’occupa de la restauration des états du sud, il ne se fit pourtant pas scrupule d’user envers eux du droit rigoureux de la victoire et de