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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 66.djvu/802

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enfin aux propriétaires fonciers payant une certaine somme d’impôts. C’est le même système qu’il avait recommandé dans un de ses messages au gouverneur provisoire du Mississipi. Enfin il avouait lui-même que toutes les mesures qu’il avait prises n’avaient rien que de provisoire, et qu’il fallait attendre les résolutions définitives du congrès. Il l’écrivait en propres termes dès le mois de juillet 1865 à ce même gouverneur du Mississipi, chargé de la réorganisation d’un des états les plus incorrigibles de la confédération rebelle : « Il faut, dans tous les cas, que l’on comprenne bien que la restauration présente restera subordonnée à la volonté du congrès. » Il se gardait bien alors de contester cette autorité souveraine; il ne s’avisa de la combattre que du jour où il s’aperçut que le congrès des États-Unis ne se plierait pas aussi facilement à ses fantaisies que la législature de la Caroline du Nord ou la convention du Mississipi.

Cette découverte a transformé toutes ses idées. Comme touché d’une grâce soudaine, il s’est aperçu que ses anciens partisans faisaient fausse route, qu’ils allaient tomber dans une erreur dangereuse, dans une hérésie damnable, diabolique et surtout inconstitutionnelle : c’est tout dire en un mot dans ce pays où l’orthodoxie légale est une vraie superstition. Il s’est mis à exhumer tout cet arsenal de vieux principes à l’aide desquels le parti démocrate essaya de réduire à néant l’autorité fédérale, et dont le bon sens pratique du parti républicain a depuis longtemps fait justice. On a vu reparaître la souveraineté des états, les droits sacrés des états, l’indépendance législative du gouvernement des états, l’inviolabilité de leurs prérogatives constitutionnelles et toute la kyrielle du jargon démocratique à laquelle il ne manquait plus que d’ajouter le droit de sécession des états. Ce dernier est remplacé avec avantage par la théorie républicaine de l’indissolubilité de l’Union fédérale, ardemment épousée aujourd’hui par tous les anciens rebelles, qui s’en font un argument subtil contre la déchéance dont ils sont menacés, car si l’Union est indissoluble, les états rebelles n’ont jamais pu sortir de l’Union; leurs fonctions ont été suspendues par le fait de la guerre, mais leurs droits et leurs privilèges n’ont pas été détruits. On ne peut donc pas aujourd’hui leur en limiter l’usage, ni leur en faire attendre un seul jour la légitime restitution. Ce n’est même pas restitution qu’il faut dire, car on ne peut leur restituer ce qu’ils n’ont jamais perdu.

On a peine à croire au premier abord que d’aussi misérables arguties puissent être alléguées sincèrement par des hommes d’état considérables et prises au sérieux par l’opinion publique d’un grand pays. Il faut avoir vu les Américains ailleurs que dans les livres pour bien comprendre l’influence que ces raisonnemens