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bles de l’opinion radicale. Elle avait été pendant la guerre le quartier-général de cette vaste association de l’Union league qui avait rendu de si inestimables services à la cause nationale, et dont la forte organisation lui donnait encore sur le vieux parti républicain une influence qui allait être mise tout entière au service des radicaux. Philadelphie d’ailleurs était l’âme de ce grand état de Pensylvanie où se trouvait, pour ainsi dire, le nœud de la question électorale, et dont une expérience constante de vingt années avait démontré que le pays suivait toujours fidèlement l’exemple en matière d’élections. Or tout ce qu’il y avait de riche et d’éclairé à Philadelphie appartenait à la faction radicale. La municipalité, nommée par le peuple, avait une telle horreur pour le président qu’elle avait refusé de lui faire une réception officielle : elle s’était enfuie de la ville à son approche, emportant les clefs de tous les monumens publics. Le maire Mac-Michaël était parti le matin même pour une partie de pêche. Quand le président entra dans la ville, il trouva partout les maisons désertes et les volets fermés. Il ne put même pas pénétrer dans l’hôtel de ville, ni faire son pèlerinage à cette salle fameuse du premier congrès américain où fut signée la déclaration de l’indépendance, et où tous les présidens des États-Unis étaient venus rendre hommage à la mémoire des fondateurs de la patrie : une foule d’agens de police postés là par le maire lui en défendaient les abords ; mais grâce au général Meade, qui était revenu tout exprès dans sa ville natale pour lui préparer une ovation, le peuple même de Philadelphie le consola pleinement de l’impolitesse de ses magistrats.

Le général alla à sa rencontre avec son état-major et un comité de notables, suivi de la milice, du corps des pompiers, de tous les clubs démocratiques de la ville et d’une foule de 300,000 citoyens. Quand de son balcon de l’Hôtel continental le président vit onduler à ses pieds les flots de cette multitude agitée, et qu’il entendit retentir l’assourdissante clameur qui planait au loin sur la ville, il put se moquer de l’humiliation qu’on avait cru lui faire subir et dire au général Grant en lui montrant cet océan de têtes humaines : « Ils ont beau faire, ils ne peuvent empêcher cela. »

La conduite des radicaux de Philadelphie fut dénoncée partout comme une grossière inconvenance. Les démocrates s’en plaignirent avec une indignation un peu forcée ; les radicaux d’ailleurs osaient à peine la défendre. Jamais un président des États-Unis n’avait été traité de la sorte ; mais peut-être pouvait-on répondre qu’il n’y avait jamais eu encore de président tel qu’André Johnson. Quand du rôle impartial et digne de premier magistrat d’un grand pays on s’abaisse au métier vulgaire d’un démagogue, on perd ses droits même à cette déférence qui s’attache encore à la